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Haïti : SItuation de l'agriculture 2024

 

Haïti est pays localisé dans la région des Caraïbes sur l'île d'Hispaniola qu'il partage avec la République dominicaine, souvent désignée comme la "Perle des Antilles". Cependant, les cinq dernières décennies ont été marquées par une série de crises politiques et climatiques récurrentes qui ont non seulement entravé le développement d'Haïti mais ont également provoqué une régression préoccupante des conditions de vie de sa population. Ces crises, profondément enracinées dans un contexte historique complexe, ont eu des impacts dévastateurs sur les structures économiques et sociales du pays. L'instabilité politique chronique, caractérisée par des gouvernements éphémères, des conflits internes et une corruption endémique, ont sapé la capacité de l'État à fournir des services de base et à instaurer un climat de confiance propice au développement. Parallèlement, Haïti est particulièrement vulnérable aux catastrophes naturelles, telles que les ouragans, les séismes et les inondations, exacerbées par les effets du changement climatique global. Ces événements climatiques extrêmes dévastent régulièrement les infrastructures, les habitations et les terres agricoles, plongeant le pays dans des cycles répétés de crise humanitaire.
Parmi les secteurs les plus affectés par ces crises, l'agriculture se trouve en première ligne. Essentiellement de subsistance, elle constitue le pilier de l'économie nationale et la principale source de revenus pour une grande partie de la population rurale. Contribuant entre 24 % et 27 % au PIB de 2011 à 2015, occupant environ 45 % des emplois en 2011, dont 63 % en zones rurales où près d'un million de familles pratiquent une agriculture de subsistance sur des parcelles de moins d'un hectare. Cet article propose de faire un point sur l’agriculture Haïtienne.

Selon les données de la Banque mondiale, la population haïtienne a connu une croissance significative, passant de 8 360 225 habitants en 2000 à 11 584 996 en 2023, soit une augmentation de 38 %. Avec 54 % de sa population âgée de moins de 25 ans, Haïti n'a donc pas encore achevé sa transition démographique. Un problème majeur pour l'agriculture. Effectivement il y’a un désintérêt croissant chez les jeunes générations qui se matérialise par des migrations significatives vers l'étranger, non seulement parce que le pays ne répond pas à leurs attentes, mais aussi parce que les risques liés à la mal nutrition, aux kidnappings, aux risques climatiques, où simplement à un mode de vie pas assez divertissant forcent les jeunes à se tourner vers un monde moderne plus occidental. Ces départs réduisent progressivement la main-d'œuvre locale, et c’est donc l’agriculture qui en paye le prix. Les taux de migration sont élevés, en 1970, 18 441 Haïtiens avaient quitté le territoire, un chiffre qui a grimpé jusqu'à 31 811 en 2023. Au total, plus de 1 400 000 Haïtiens ont émigré, selon les données de Perspectives Monde. Généralement pour se rendre aux États-Unis, au Canada, ou en France ou encore le Mexique.

Les migrations sont également marquées par des déplacements internes massifs. En décembre 2023, plus de 310 000 personnes étaient déplacées à l'intérieur d'Haïti, dont plus de la moitié au cours de l'année 2023, 94 %, provenaient du département de l’Ouest, principalement de Port-au-Prince. Parmi ces déplacés, plus de 172 300 sont des enfants, et seulement 45 % des personnes déplacées étaient hébergées par des communautés d’accueil révélant une crise humanitaire d'une ampleur considérable. Ils fuient les conflits armés entre les gangs et la police qui tentent d’y mettre fin. Les principales destinations de ces migrants sont l’Artibonite qui abritent les villes : Gonaïves, Saint-Marc, ou encore Desdunes.

Carte n°1 : Population et villes en Haẗi (2023)

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1. Analyse de la production agricole en Haïti (2015-2022) et disparités régionales

Avec un tiers de son territoire composé de plaines arables, Haïti présente un potentiel agricole considérable. L'humidité varie en fonction des régions et de l'altitude, et les températures journalières oscillent entre 19°C et 28°C en hiver et entre 23°C et 33°C en été. Les précipitations, influencées par la topographie et les saisons, sont relativement rares de novembre à février (saison sèche), et plus abondantes entre avril et octobre, avec un pic en mai, le mois le plus pluvieux. Les régions centrales reçoivent plus de précipitations que le nord et l'ouest du pays, et les versants nord ainsi que les pentes exposées au vent sont généralement plus arrosés que les pentes sous le vent. Les zones montagneuses enregistrent également des précipitations annuelles bien plus élevées que les plaines. Réparties en huit zones agroécologiques, les cultures principales sont le maïs, la banane, les haricots, le riz et les mangues. Ces zones sont caractérisées principalement par des systèmes agricoles de montagne humide et semi-humide.

En 2019, la production agricole en Haïti a connu des variations notables. Voici un résumé des principales cultures :

  • Maïs : La culture de maïs a été pratiquée dans les 10 départements au cours des trois campagnes agricoles. La campagne de printemps a fourni 68 % de la production annuelle, l’automne 22 % et l’hiver 10 %. Les départements de l’Ouest (24,59 %), du Centre (15,59 %), de l’Artibonite (12,85 %), du Sud-Est (12,19 %), et du Sud (10,53 %) ont contribué à plus de 75 % de la production. Par rapport à 2018, la production de maïs a chuté de 16,85 %, avec des baisses significatives dans l’Artibonite (-51,10 %), le Nord (-23,52 %), et le Sud-Est (-19,82 %), mais des hausses dans le Sud (12,76 %) et le Nord-Ouest (3,48 %).Riz : 43 % de la production annuelle de riz a été fournie par la campagne d’automne, 38 % par celle de printemps et 19 % par celle d’hiver. 93,53 % de la production était concentrée dans l’Artibonite, la principale zone rizicole du pays. La production de riz a diminué de 11,52 % par rapport à 2018, en grande partie à cause d’une baisse de 14,78 % dans l’Artibonite.
  • Banane : La banane, première culture vivrière en termes de production en 2019, a été principalement produite au printemps (51 %), suivie par l’hiver (30 %) et l’automne (19 %). Le département de l’Ouest a concentré 44,24 % de la production, suivi du Centre (18,35 %) et du Nord-Ouest (10,10 %). La production de bananes a diminué de 11,25 % par rapport à 2018, avec des baisses significatives dans plusieurs départements, sauf dans l’Ouest (augmentation de 8,59 %) et le Centre (7,21 %).
  • Manioc : La production de manioc a été répartie entre l’automne (36 %), l’hiver (34 %) et le printemps (30 %). Les départements de l’Ouest (27,41 %) et du Centre (21,78 %) ont été les principaux producteurs. La production de manioc a chuté de 9,85 % par rapport à 2018, avec des baisses notables dans le Nord-Est (-30,91 %), la Grand-Anse (-25,61 %), le Nord-Ouest (-22,87 %), et le Nord (-18,40 %), mais une augmentation dans l’Artibonite (44,24 %).
  • Mangue : Le printemps a été la principale période de production de mangue (62 %), suivi par l’hiver (20 %) et l’automne (18 %). Plus de la moitié de la production a été concentrée dans l’Artibonite (52,39 %), suivie de l’Ouest (16,31 %), du Centre (14,40 %), et du Nord-Ouest (10,10 %). La production de mangue francisque a baissé de 22,33 % par rapport à 2018, avec des diminutions significatives dans toutes les zones sauf le Centre, où elle a légèrement augmenté (1,88 %).
Carte n°2 : répartition des cultures dominantes, 2019.
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Généralement, toutes l’activités agricoles a connu une baisse, cela s’explique par la pandémie de Covid 19. Pour exemple, la production de mangue en Haïti a connu une baisse significative en raison de l’impact dévastateur la pandémie sur l'industrie. Traditionnellement, l’exportation de la mangue est une source importante de revenus pour Haïti, représentant 13 millions de dollars américains en 2015 et se classant comme le deuxième produit d’exportation du secteur primaire en 2019. Cependant, l’année suivante, les commandes étrangères ont drastiquement diminué, faisant chuter les recettes à seulement 0,26 million de dollars en 2020, selon les chiffres provisoires de la Banque de la République d’Haïti communiqués par l’économiste Enomy Germain. Cette diminution est attribuée principalement à la réduction des activités des entreprises d'exportation, habituellement acheteuses des mangues des producteurs locaux, en raison des restrictions et perturbations causées par la pandémie. De plus, la demande internationale a été considérablement affaiblie, ce qui a conduit les producteurs à se tourner vers le marché national pour écouler leur production. Ce changement a été observé par Manite Jean Pierre, responsable régionale de l'Institut Technologique et d'Animation (ITECA), et corroboré par Daniel Dorelus de la Coopérative de Production et de Commercialisation de Mangues Franciques de Gros-Morne (KOPKOMFG), qui a noté que malgré une légère reprise des activités, la demande restait limitée. La pandémie a non seulement perturbé les canaux de distribution mais a aussi exposé les producteurs à des pratiques commerciales déloyales de la part des entreprises d'exportation, réduisant ainsi leur bénéfice global. La combinaison de la diminution des commandes internationales, des pratiques d'exploitation et des difficultés logistiques a conduit à une année particulièrement difficile pour la production de mangues en Haïti en 2019. «Déjà abusés par les exportateurs, les producteurs de mangues haïtiens terrassés par le Covid-19 »par SAMUEL CELINÉ 2 juin 2020, Ayibopost

Graphique n°1 : Quantité (t) des six cultures les plus produites en Haïti en 2019
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Source : FAOstat, 2024.

Ce graphique illustre la production des principales cultures en Haïti sur une période de 2015 à 2022. On observe une tendance générale à la baisse des productions au fil des années, malgré des fluctuations pour certains produits. La mangue est le produit agricole le plus largement cultivé en Haïti. Grâce à son climat tropical, Haïti peut produire des mangues tout au long de l'année. La bande nord du pays, s'étendant de l'ouest à l'est, est particulièrement propice à la culture des mangues. En 2015, la production de mangues a atteint un record de 642 000 tonnes. La production abondante de mangues a des retombées économiques importantes, notamment dans la ville de Cap-Haïtien, chef-lieu du département du Nord. Cette ville prospère en grande partie grâce à l'agriculture et n'a presque jamais connu de famine. La disponibilité alimentaire y est la plus élevée du pays, avec 71 kg par habitant. Cela souligne l'importance de la production agricole locale pour la sécurité alimentaire régionale. Pour évaluer si la production agricole permet à Haïti de subvenir à ses besoins alimentaires par région, nous avons croisé les données obtenues du Ministère de l'Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural (MARNDR) avec celles de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO). Les résultats montrent une disparité significative entre les régions. Par exemple, la Grand'Anse affiche une disponibilité alimentaire de seulement 11 kg par habitant, contre 64 kg par habitant dans l'Artibonite, malgré une population plus petite. La population de l'Artibonite est de 1 116 048 habitants, alors que la Grand'Anse compte 489 747 habitants. Cette disparité met en lumière des inégalités dans la répartition des ressources alimentaires. Cette analyse révèle que bien que certaines régions d'Haïti, comme le Nord, bénéficient d'une certaine autosuffisance alimentaire, d'autres régions comme la Grand'Anse sont moins bien loties.

Tableau n°1 : Analyse de la répartition et de la disponibilité alimentaire régionale en 2019
Région Population Culture dominante Production (t) Disponibilité par habitant (kg)
Nippes  358 211  Maïs  11 677  32
Nord-Ouest  762 183  Mangue  49 741  65
Grande'Anse  489 747  Maïs  56 26  11
Sud  810 466  Maïs  20 476  25
Centre  740 410  Avocats  43 774  56
 Artibonite  1 806 636  Riz  117 229  64
 Nord-Est  762 183  Mangue  22 415  33
 Nord  1 116 048  Mangue  79 343  71
 Sud-Est  661 571  Maïs  23 701  35
 Ouest  4 214 246  Banane  109 951  26
 Source : FAOstat, 2024.

2. Comparaison de l'agriculture haïtienne avec celle de ses voisins : Cuba et République dominicaine

Pour avoir une réelle idée de ce que représente l'agriculture haïtienne, il est pertinent de la comparer avec celle de ses voisins de taille comparable, tels que Cuba et la République Dominicaine. La Jamaïque, bien que majoritairement rurale, est de bien plus restreinte , ne possède pas autant de terres agricoles et ne produit pas les mêmes produits qu'Haïti. Pour cette comparaison, nous avons utilisé les statistiques de la FAO et sélectionné les mêmes productions sur les mêmes années. Les trois cultures les plus cultivées en Haïti, à savoir la banane, la mangue et le riz, ont été retenues. Nous avons ensuite comparé les résultats obtenus. La comparaison entre Haïti et Cuba montre une nette supériorité de Cuba dans la production de bananes et de mangues. Cuba, bénéficiant de meilleures infrastructures agricoles et de politiques de soutien efficaces, produit ces fruits en quantités bien plus élevées que Haïti. En revanche, Haïti produit presque le double de riz par rapport à Cuba. Cela s'explique en partie par la priorité donnée à cette culture en Haïti et les conditions climatiques favorables dans certaines régions du pays. La comparaison avec la République Dominicaine est plus défavorable pour Haïti. La République Dominicaine produit des quantités bien plus importantes de bananes, de mangues et de riz, comme le montre le tableau ci-dessous. Cette différence s'explique par des investissements plus importants dans le secteur agricole, une meilleure gestion des ressources et des infrastructures plus développées en République Dominicaine permettant et favorisant le développement d’une agriculture d’exportation. Le constat est donc mitigé. Bien que Haïti surpasse Cuba dans la production de riz, elle reste en retrait par rapport à la production de bananes et de mangues. De plus, la République dominicaine affiche une production agricole bien plus élevée que celle d'Haïti pour deux des trois cultures étudiées.

Tableau n°2 : Comparaison de la production agricole entre Haïti, Cuba et République Dominicaine
Pays Culture Année Quantité (t)
Haïti Banane 2019 249 883
Cuba Banane 2019 283 047
République dominicaine Banane 2019 1 209 268
    
Haïti Mangue 2019 342 680
Cuba Mangue 2019 388 287
République dominicaine Mangue 2019 44 182
    
Haïti Riz 2019 186 087
Cuba Riz 2019 391 842
République dominicaine Riz 2019 1 010 100
Source : FAOstat, 2024.

La situation agricole en Haïti est un reflet des multiples défis auxquels le pays fait face. Entre crises politiques, catastrophes naturelles et pressions démographiques, l'agriculture haïtienne, pourtant essentielle à la survie de la majorité de la population rurale, peine à réaliser son plein potentiel. Les données récentes montrent une tendance inquiétante à la baisse de la production de cultures clés comme le maïs, le riz et les bananes, exacerbée par les migrations internes et externes qui réduisent la main-d'œuvre agricole.
Cependant, l'analyse révèle également des zones de résilience et des opportunités. Par exemple, malgré des baisses généralisées, certaines régions comme le Sud et l'Artibonite ont montré des augmentations dans certaines cultures, suggérant que des interventions ciblées pourraient stabiliser et même augmenter la production. La disparité régionale dans la production et la disponibilité alimentaire indique que des politiques de distribution plus équitables pourraient atténuer les inégalités et renforcer la sécurité alimentaire dans les zones les plus vulnérables.
Pour aller plus loin dans l'analyse et les solutions possibles, il est crucial d'examiner les futurs risques et les stratégies d'adaptation pour l'agriculture haïtienne. La suite de cette trilogie pourrait aborder plusieurs aspects essentiels. En s'attaquant à ces questions, il semble possible de mettre en place une feuille de route pour transformer l'agriculture haïtienne en un pilier de développement durable et d’assurer la sécurité alimentaire, malgré les défis considérables. Les perspectives futures devront se concentrer sur l'innovation, la résilience et une gouvernance améliorée pour assurer un avenir prospère à l'agriculture haïtienne et, par conséquent, à toute la nation.
Une meilleur adéquations des besoins alimentaires aux cultures pratiquées, une stabilité du pays permettant d’envisager le développement d’une agriculture d’exportation stable. Mais n’est ce pas favoriser la poursuite de la déforestation ?

 

Bibliographie :

  • Résultat de l’enquête national de l’agriculture de la MARNDR

http://agriculture.gouv.ht/statistiques_agricoles/wp-content/uploads/2021/07/Rapport-ENPA-2019_VF-1.pdf

  • FAOSTAT

"Déjà abusés par les exportateurs, les producteurs de mangues haïtiens terrassés par le Covid-19" par SAMUEL CELINÉ 2 juin 2020

https://ayibopost.com/deja-abuses-par-les-exportateurs-les-producteurs-de-mangues-haitiens-terrasses-par-le-covid-19/

 

 

Auteur : Eliott Dreux

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