TRANSPORTS ET RÉSEAUX
Les espaces portuaires et maritimes des Petites Antilles Résumé de travaux de Doctorat
L’essor extraordinaire des échanges de personnes et de marchandises, de capitaux et de services ou encore d’informations s’est concrétisé pendant la seconde moitié du XXème siècle. Cette tendance s’est confirmée durant les années 2000 par un développement exceptionnel des transports en général, accompagné d’importantes mutations dans le domaine du transport maritime et du commerce international. Par ces temps de mondialisation, le Bassin Caraïbe n’y échappe pas. Caractérisé par un espace géographique éclaté, l’archipel et les franges continentales qui bordent la Mer des Caraïbes, sont côtoyés par les grandes routes maritimes internationales.
Figure n°1 : carte de situation : Guadeloupe, Martinique, Sainte-Lucie dans les Petites Antilles
Auteur : Christian Jean-Etienne, 2007
Dès lors, la Caraïbe devient un lieu de passage privilégié générant une compétition farouche et des enjeux d’importance entre les différents ports de la zone. Du fait de leur insularité, côtoyées par les grandes routes maritimes, la Martinique, la Guadeloupe et Sainte-Lucie situées dans les Petites Antilles de l’archipel caraïbe sont concernées par ce phénomène et plus encore, elles sont dans une situation de dépendance vis-à-vis de l'extérieur fait que la majorité des marchandises importées et exportées passe par les ports de Pointe-à-Pitre / Jarry en Guadeloupe, de Fort-de-France / Pointe-des-Grives en Martinique et de Castries / Vieux-Fort à Sainte- Lucie, véritables poumons de leur économie respective. La structure économique de ces États et territoires est fortement marquée par l’extraversion, la dépendance vis-à-vis de quelques productions et le déséquilibre des balances commerciales au profit des importations. L’occasion est offerte de vérifier comment l’espace étudié est touché par les mutations en cours et d’en mesurer les effets.
Figure n°2 : Présentation de la Guadeloupe
Auteur : Christian Jean-Etienne, 2007.
En effet, partageant le même ensemble caraïbe, la Guadeloupe, la Martinique et Sainte-Lucie sont à la fois différentes à plus d’un titre (structurel, statutaire, politique, juridique...) tout en présentant des points communs d’ordre historique, économique, social et culturel. La Guadeloupe et la Martinique ont un statut de département-région français d’outre-mer (DROM).
Figure n°3 : Présentation de la Martinique
Auteur : Christian Jean-Etienne, 2007.
Figure n°4 : Présentation de Sainte-Lucie
Auteur : Christian Jean-Etienne, 2007.
Elles sont intégrées à l’Union européenne, mais classées du fait de leur éloignement des centres de pouvoirs européens, en Régions ultrapériphériques (RUP). Au sud, Sainte-Lucie en revanche a accédé à l’indépendance depuis février 1979 et bénéficie d’un statut de démocratie parlementaire, en tant que membre du Commonwealth. Son statut de pays indépendant lui a-t-elle permis de mieux maîtriser ses relations avec la mer et les autres îles voisines ? A-t-elle pu se construire une maritimité particulière ? Ce sont autant de questions qui méritent d’être posées. Aussi, l’accent est-il mis sur les espaces d’échanges. L’histoire navale du Bassin caraïbe et les confrontations coloniales qui s’y sont développées ont forgé une conception du littoral trop souvent héritée de la notion de frontière. Les convoitises commerciales et les rivalités qui les accompagnaient ont longtemps encouragé cette conception réductrice et protectionniste de l’espace littoral. Pour traiter de ces espaces portuaires et maritimes, les problématiques du transport maritime en milieux insulaires sont abordées avec une préoccupation liée d’une part aux influences du maritime sur ces sociétés, en termes d’isolement ou d’enclavement d’un système spatio-social, et d’autre part à l’impact des équipements portuaires sur l’aménagement des territoires, sur les interactions transports maritimes/organisation de l’espace et sur les mutations des réseaux en cours. Ces situations originales ne peuvent que susciter des comparaisons intéressantes et créer l’opportunité de réflexions et d’analyses pertinentes :
1. Trois territoires insulaires à l’épreuve du développement portuaireIls sont à la fois voisins et concurrents, au sein du même espace géographique, d’une même créolité, embrassant le double héritage colonial anglais et français. Loin d’être de simples traits de côtes, ces espaces littoraux sont des zones d’influences maritimes qui ont des répercussions au-delà des mers et nourrissent des enjeux très importants. Quelle capacité ces trois sociétés insulaires ont-elles à construire une maritimité, à la fois pour l’ouverture qu’elle provoque pour chacune d’entre elles, et pour la complicité qu’elle développe grâce aux liens historiques, géographiques et culturels partagés ? Les espaces portuaires considérés, au-delà d’une simple approche technique, sont intégrés dans leur contexte urbain et territorial en termes de villes-portuaires, de fronts d’eau, de linéaires de quais prenant en compte tous les enjeux d’aménagement et de développement commandés par la croissance des trafics.
Figure n°5 : Principales plateformes portuaires caribéennes
(Volumes de conteneurs manipulés)
Sources : Port authority of Trinidad nad Tobago (PATT), Economic Commission for Latin America end The Caribbean (ECLAC)
Conception et réalisation : Christian Jean-Etienne, 2006.
La disposition du relief vient souvent influencer l’organisation spatiale des territoires insulaires. Elle favorise ainsi la répartition auréolaire du réseau urbain installé sur le linéaire du littoral, tandis que les terroirs agricoles occupent les plaines littorales ou intérieures ainsi que les basses pentes des reliefs. La répartition des hommes en est dépendante et l’on retrouve la plupart des agglomérations installées sur le littoral. Le concept de centre – périphérie se lit aisément dans les espaces insulaires du bassin caraïbe. Le premier exemple qui nous interpelle est l’opposition littoral-intérieur, quand l’intérieur montagneux ne laisse pas d’espace à une implantation humaine forte, ni au développement des villes et justifie ainsi la concentration urbaine linéaire du littoral. D’autres exemples confirment des relations asymétriques entre l’agglomération principale et un centre relais (Castries et Vieux-Fort) à Sainte-Lucie ; ou la dualité entre un chef-lieu administratif et la Capitale économique : c’est le cas pour Basse-Terre et Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. La cartographie vient appuyer ce fait : l’organisation spatiale des îles est fortement influencée par les contraintes orographiques du milieu et cette influence est lisible au niveau de la distribution des aires urbaines sur la frange littorale. Il est très aisé de comprendre la volonté des autorités portuaires de Sainte-Lucie d’installer à Vieux- Fort, village de pêcheurs dans l’extrême sud de l’île, des infrastructures de manutention modernes pour les conteneurs ainsi qu’une aire de stockage très intéressante. La pointe sud de Sainte-Lucie offre de l’espace disponible, mais la liaison routière est de très mauvaise qualité entre le point d’entrée des marchandises et les lieux de consommation que sont les concentrations urbaines de Castries et de Gros-îlet, enrichies de leurs infrastructures hôtelières. Les choix des autorités portuaires s’inscrivent dans une démarche volontariste d’aménagement du territoire et se justifient par le projet du gouvernement d’installer cette plateforme de conteneurs afin de développer une activité de transbordement. Par ailleurs, la proximité de l’aéroport international de Héwanorra avec la plateforme de Vieux-Fort permettra le développement des activités de liaisons rapides mer-air. La pratique de la chorématique tente de mettre en exergue pour cette île tropicale, les dynamiques fonctionnelles et organisationnelles avec une littoralisation polarisatrice de l’occupation humaine et des activités économiques, logistiques et d’échanges, autour du concept de centre/périphérie.
Figure n°6 : Chorème de l'organisation spatiale et principes de fonctionnement de l'espace Sainte-lucien
Auteur : Christian Jean-Etienne, 2007.
2. Des espaces portuaires et des espaces maritimes : entre mutations et aménagementsCes espaces aménagés et produits par les activités portuaires de Fort-de- France, de Pointe-à-Pitre et de Castries, chacun selon les sites ont mis en évidence trois espaces produits par les activités portuaires. Ces espaces et les activités portuaires qui s'y partiquent, ont permis de mettre en évidence la requalification des espaces urbains en ayant recours à des filières de développement économique dans le but d’intégrer ces territoires insulaires que sont la Martinique, la Guadeloupe et Sainte-Lucie, dans leur contexte régional. 3. Flux de personnes et de marchandisesLes flux de marchandises et les liaisons maritimes en Guadeloupe, Martinique et Sainte-Lucie entre-elles et avec le reste du monde révèlent les trafics portuaires et les interrelations qui existent entre flux et organisation des espaces portuaires. La grande difficulté réside dans la dépendance des sources en particulier douanières qui privilégient davantage les valeurs aux dépends des tonnages de marchandises. De plus le traitement de ces données n’est pas toujours aisé du fait d’une nomenclature spécifique qui ne correspond pas toujours aux exigences de la logistique. Par ailleurs ces statistiques sont accompagnée de sources émanant de territoires différents et obéissant à des logiques diverses, parfois divergentes entre douanes et organismes portuaires. L'analyse des flux, de leur composition, de la structuration des avant-pays, des atouts et handicaps de chaque organisme portuaire, l'ambition de devenir un Hub régional sont autant de déterminants qui permettent la qualification de ces espaces portuaires. Le système Hub and spokes permettrait une redistribution dans la Caraïbe des marchandises importées de France, d’Europe, des Etats-Unis, d’Asie et d’autres destinations lointaines. Le développement de navires mieux adaptés au transport longue distance de produits sensibles, avait en son temps redessiné les échanges de flux dans ces espaces portuaires. Ainsi, le transport de la banane avec la création des navires PCRP de la CMA-CGM ont révolutionné les routes maritimes notamment en proposant d’assurer le fret retour en ramenant vers la France et l’Europe les conteneurs de bananes réfrigérés alors qu’à l’aller ces derniers étaient remplis de produits manufacturés de toutes sortes. Les PCRF, nouveau type de navire font partie de la série des 4 navires reefers que le groupe CMA CGM vient de recevoir. Ils remplacent, en offrant une capacité supérieure, les navires PCRP qui ont assuré, pendant près d'un quart de siècle, la liaison entre le marché français et les départements de la Guadeloupe et de la Martinique. D'une capacité géométrique de 2 262 équivalents vingt pieds (EVP), ils sont équipés de 550 prises reefer (accès individuel au froid) permettant le chargement, en conteneurs 40', de l'équivalent de 1 100 EVP reefer, soit 11 000 tonnes de bananes. Ces PCRF peuvent décloisonner les services en transportant dans les deux sens fruits, légumes et autres produits sensibles. Par une recherche systématique d’économies d’échelle, ils poussent donc à poser à terme la question du regroupement des cargaisons sur des Hubs, tout en intégrant les services des îles dans des lignes déspécifiées, ce qui risque éventuellement à termes de modifier les lignes maritimes empruntées et de concurrencer le « monopole » de la CMA-CGM.
4. Politique du développement maritime dans les Petites Antilles, logiques de concurrence ou complémentarité ?Les relations régulières entre les Antilles et l’Europe et l’importance des orientations politiques prises par la France et l’Union européenne à différentes échelles (marché de la banane, Union Européenné-ACP et UE-OMC), tout comme la question du traitement des bananes par le port de Dunkerque, devenu depuis cinq ans le port bananier des Antilles, pose la question des logiques de concurrence ou de complémentarité à l'oeuvre et plus particulièrement de la politique de développement maritime dans les Petites Antilles. La situation politique particulière des DFA intégrés à l’Union Européenne, les oblige à avoir comme principaux partenaires commerciaux la France et l’Europe et à souffrir de l’application des « negative lists », ces listes de produits établies par les pays de la CARICOM qui entrent en concurrence directe avec es productions du Caricom et sont ainsi fortement taxés à l'importation, même si on observe quelques assouplissements. L'Europe dans la Caraïbe soulève quelques questionnements quant aux enjeux actuels en terme de commerce maritime :
Ces interrogations permettent de développer une réflexion sur les problématiques géopolitiques des deux Antilles françaises liées par une triple périphéricité vis-à-vis de la France, de l’Union européenne et du Bassin caribéen. La position concurrentielle des deux ports de Fort-de- France et de Pointe-à-Pitre dans leurs ambitions d’être des ports d’éclatement est également une question d'importance tout comme la nécessité d’une véritable évaluation de la politique d’intégration en matière commerciale et portuaire, à l’échelle des petites Antilles, avec l’alternative suggérée entre un marché unique ou une plate-forme logistique. Eternelle question de l’enchaînement de la cause et de l’effet, mais qui, sur le plan des stratégies, conduit à valoriser, soit l’intégration par le marché, soit la polarisation par l’outil structurant.
Quel est l’avenir de ces trois ports à différentes échelles (contextes français et européen, caraïbe et mondial) ? Lequel des trois a-t-il le plus d’avenir ? Le statut politique (territoire indépendant ou sous tutelle) joue-t-il un rôle essentiel dans le dynamisme portuaire ? Est-il réaliste, au-delà de la concurrence à laquelle se livrent les deux ports principaux des DFA, de penser ce qu’ils peuvent devenir Les jeux d’échelle permettent une meilleure compréhension des dynamiques territoriales : échelle locale des villes-ports et de leurs fronts d’eau, échelle insulaire visant aux rapports de la ville-port avec son territoire insulaire, du nécessaire retour à un équilibre multipolaire (Basse-Terre/Pointe-à- Pitre, Castries/Vieux-Fort...), échelle régionale dominée par l’inter-insularité, le transbordement, les croisières et par extension la plaisance, échelle atlantique par la suprématie des lignes «spécifiées», échelle mondiale enfin (marché de la banane, UE-ACP et UE-OMC) en étroite liaison avec l’importance des orientations politiques prises par la France et l’UE, S’agissant de la coopération, le Bassin caraïbe, en raison de sa situation de carrefour entre l’Europe et l’Amérique, entre l’océan Atlantique et l’océan Pacifique, offre un espace de plus en plus intégré dans les stratégies des transporteurs maritimes et aériens globaux qui restructurent leurs réseaux à partir d’un petit nombre de nœuds à l’échelle mondiale. Cette évolution rend nécessaire une coopération régionale plus poussée en matière de politiques des transports afin de limiter les risques de marginalisation qu’elle sous-tend.
Cet article est un résumé de travaux de Doctorat de géographie intitulé "Les espaces portuaires et maritimes des Petites Antilles : le cas de Fort-de-France, Pointe-à-Pitre et Castries", thèse de géographie soutenue par Mr Christian Jean-Etienne, le 28 janvier 2008, Université des Antilles et de la Guyane. Pour de plus amples développements, veuillez contacter l'auteur. Haut |
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