PROFESSEUR
 
Les Caraïbes : cannibales ou bons sauvages ?

ACTIVITE PEDAGOGIQUE en SECONDE

Cette activité accompagne la séquence consacrée à « l'Humanisme ». Elle peut faire l'objet d'une réflexion menée en ECJS sur le thème de : « L'image de l'Autre ».

Objectifs :

- Observer et interpréter un document iconographique

- Montrer comment « l'autre » est perçu à travers des filtres culturels différents : choc de cultures mais aussi dialogue.

Des « cannibales »

Document 1. Le cannibalisme des Caraïbes vu par les Européens au XVIe siècle 

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Source : Encyclopédie Desormeaux p.470

Document 2. (cf. La découverte de l'espace Caribéen, "Les Caraïbes/Kallinagos : un peuple guerrier", doc 2, Caillé de Castres décrit l'armement des Amérindiens, Présentation de l'auteur) Caillé de Castres évoque l'anthropophagie de ses hôtes.

« Leur humeur est douce, civile et autant obligeante envers leurs amis que cruelle et sanguinaire à leurs ennemis. […]

Quoique le pri­sonnier sache que la mort lui est inévitable et qu'il doit être la proie de ses ennemis, il ne laisse pas d'être dans l'apparence plus joyeux qu'eux, il ne cesse journellement de les [insulter]. À l'un, il dit qu'il a mangé son père, à l'autre son oncle, à un tiers de son frère et ainsi du reste. Quand les Caribes1 ont gardé un mois ou deux leur prisonnier de cette sorte, qu'ils le jugent assez gras pour manger, ils lui relient les mains derrière le dos […]. Enfin le jour destiné étant venu, il se fait peindre et oindre le corps et orner d'autant d'ornements qu'on veut lui prêter. Il paraît ce jour là plus heureux qu'à l'ordinaire. […]

Le matin, nos Caribes font un festin magnifique de plusieurs sortes de boissons2 auquel se rendent tous les autres des lieux circonvoisins, qui ont avertis pour cet effet. Alors on y mène le prisonnier, lequel on fait boire ainsi que les autres et comme s'il était un des leurs camarades et non pas comme celui qui doit être le principal acteur d'une sanglante et inhu­maine tragédie. Cependant, hors du village, on prépare les choses néces­saires pour cette horrible cérémonie. On plante un gros piquet en terre auquel il doit être attaché. Puis il font une grande grille de bois qu'ils appellent boucan et un grand feu où ils mettent chauffer quantité d'eau.

Quand toutes choses sont ainsi préparées et qu'ils sont à moitié ivres, ils commencent la marche avec leurs flûtes et leurs tambours. Ensuite, vient le prisonnier chargé de parures comme gras bœuf le Jeudi gras. Il est conduit par celui qui l'a gagné dans la bataille. […]

[…] Il y en a qui, au moment de leur mort, pour irriter leurs ennemis, leurs tiennent ce langage : « pauvres gens je vous vois tout brûlants du désir de remplir vos estomacs de ma chair, mais croyez que j'en ai beaucoup mangé des vôtres. Dans telle expédition nous en mangeâmes tant, dans une autre tant ». […]

Je leur ai souvent demandé quel goût ils trouvent à manger de la chair humaine et ils m'ont toujours répondu qu'ils n'en trouvaient aucun et que c'est la haine qui les oblige à le faire et que même si quelque bête les a piqué et qu'ils l'attrapent, ils la mangent pour se venger. »

Moïse Caillé de Castres, De Wilde ou les sauvages caribes insulaires d'Amérique, 1694, édition Conseil Général de la Martinique / Musée départemental d'Archéologie et de Préhistoire,  2002. p. 86, p.112-3.

1 Les Amérindiens des petites Antilles se nomment Kalinas ou Kallinagos et les Européens les ont appelés Caraïbes ou Caribes.

2 A chaque occasion importante il y a une fête, ce que les chroniqueurs appellent un caouynage et on consomme le ouicou, une boisson alcoolisée, sorte de bière épaisse, faite de galettes mâchées mises à fermenter dans de l'eau.

Présentation de l'auteur

L'auteur,  Moïse Caillé de Castres a vécu quelque temps avec les Amérindiens. (cf. La découverte de l'espace Caribéen, "Les Caraïbes/Kallinagos : un peuple guerrier", doc 2, Caillé de Castres décrit l'armement des Amérindiens)

Questions

- Décrivez la scène représentée sur le dessin ?

- Pour quelle raison les Caraïbes consomment-ils de la chair humaine ?

- Relevez dans le texte des arguments montrant que la consommation de chair humaine est une action qui suit des règles précises.

- Souligner les expressions qui montrent que l'auteur porte un regard négatif sur  les coutumes des Caraïbes.

Quelques éléments de réponse

* Le dessin décrit une scène fantasmée qui ne correspond pas aux rites d'anthropophagie rituelle décrits dans les chroniques même si certains (Caillé de Castres p. 112 par exemple) relèvent la gourmandise de certains participants.

*L'anthropophagie des Caraïbes/Kallinagos est attestée historiquement mais il ne s'agit pas d'une anthropophagie née d'un goût particulier pour la chair humaine (certains chroniqueurs sont imperméables à la compréhension d'une autre culture : Guillaume Coppier parle d'Indiens « s'entre-mangeans sans cesse »).

En fait, l'ingestion de la chair de l'ennemi mâle, l'utilisation des ossements (flûtes, objets décoratifs) est un rituel de la vengeance totale. Cette anthropophagie rituelle permet de s'approprier la force de l'ennemi arawak et de faire renaître l'ancêtre mythique autrefois dépecé (le mythe de Sésé, Thierry Létang dans Sainton, op.cit. p.65 à 67). L'anthropophagie est abandonnée dès la fin XVIIe siècle.

Compléments d'information

* Equivalence Caraïbe/cannibale (cf. La découverte de l'espace Caribéen, "Les Antilles, le territoire des Kallinagos", doc 1. Questions)

* On a longtemps opposé l'Arawak, sociable, doux et soumis au Caraïbe belliqueux(cf. La découverte de l'espace Caribéen, "Les petites Antilles : le territoire des Kallinagos", doc 1, L'origine des habitants des Petites Antilles, Eléments de réponse et approfondissement) et sanguinaire. En effet, le Caraïbe/Kallinago, c'est avant tout celui qui a résisté le plus fortement aux Espagnols dans les Antilles.

« Des bons sauvages » ?

Document 3 : Des flibustiers naufragés sont recueillis par les Amérindiens de la Martinique

« Ils sont fort curieux d'apprendre les langues et les mœurs des étrangers. Ils s'enquièrent à toute heure de nos façons de faire, et nous demandaient si nous pratiquions la même chose, et pour le mieux comprendre, ils nous faisaient cracher dans leur bouche et dans leurs oreilles, croyant par ce moyen apprendre plus tôt à parler français, s'informant de nous com­ment nous nommions chaque chose, et ils nous disaient aussi comment ils les nommaient en caraïbe, nous exhortant d'ap­prendre leur langue, en nous disant « apprends la bien et lorsque tu la sauras, tu iras nu comme moi, tu te feras pein­dre en rouge, tu porteras des cheveux longs comme moi, tu deviendras caraïbe et tu ne voudras plus retourner en France. Et moi parlant comme toi, je prendra+i tes habits et m'en irai en France à la maison de ton père et je m'appellerai comme toi, et toi comme moi ». Et la plupart se faisaient nommer comme leurs hôtes français. […]

Le soin de ces bonnes gens était tel qu'ils se levaient trois ou quatre fois la nuit pour tâter le ventre de leur hôte, pour juger s'il était encore petit et, s'il l'était encore, ils le réveillaient promptement pour le faite manger, en lui disant, «mon compère lève-toi pour manger de la cassave car tu as petite barrique », mot emprunté pour dire le ventre. Que s'il ne se voulait encore lever, disant qu'il avait encore sommeil et qu'en effet il se rendormait, ils lui mettaient des vivres sous son lit, et le plus souvent dedans, avec de la cassave 1 toute chaude, avec du poisson ou quelque autre chose, afin qu'il en use lorsqu'il voudrait. »

Un flibustier 2 français dans la mer des Antilles en 1618-1620, manuscrit du début du XVIIe siècle édité par Jean-Pierre Moreau, 1987 (p. 96 et 100)

1 Galette de manioc.

2 Flibustier  (ou corsaire) : il a l'autorisation de s'emparer de la cargaison des navires de nations en guerre avec son pays.

Questions

- Caractériser en une phrase l'attitude des Kalinas vis-à-vis des naufragés français qu'ils ont recueillis. 

- Pensez-vous qu'il existe une contradiction entre les deux textes ? Pourquoi ?

Présentation du document

L'auteur du manuscrit, anonyme (le manuscrit a été retrouvé dans une bibliothèque de Carpentras par Jean-Pierre Moreau) était vraisemblablement embarqué sur un navire de flibustiers qui fait naufrage. Les naufragés survivants sont recueillis par les Amérindiens de la Martinique.

Eléments de réponse

* Les points de vue des chroniqueurs divergent. Pour ceux dont la capacité d'observation est brouillée par les filtres religieux notamment, les autochtones sont les produits du démon. Ceux qui ont un regard plus ethnographique (en particulier l'Anonyme de Carpentras) ont fait des observations qui montrent une réelle curiosité et beaucoup parlent de tolérance, d'humanité, de profond sens de l'hospitalité des autochtones. 

* Les rites d'hospitalité sont très codifiés et varient en fonction du rang et de la notoriété du visiteur. Ce dernier se voit d'abord offrir cassave et ouicou (boisson fermentée à base de galette de manioc).  Lire J.P. Sainton p. 81-82, op. cit.

* Ce genre de récit de voyage donnera naissance au mythe du bon sauvage qui se développera au XVIIIe siècle. Les lecteurs en fonction de leur approche philosophique (la nature supérieure à la culture) vont idéaliser ces hommes en contact étroit avec une nature qui donne l'illusion d'un paradis perdu. Christophe Colomb n'affirme-t-il pas en découvrant l'embouchure de l'Orénoque que « là est le Paradis terrestre ».

Pour une première approche du mythe du bon sauvage lire :

http://www.cvm.qc.ca/encephi/Syllabus/Litterature/18e/bonsauvage.htm

http://www.lettres.ac-versailles.fr/article.php3?id_article=730

Conclusion : Une incompréhension profonde

L'anthropophagie qui a tant choqué les Européens, masque une autre image de la population caraïbe, celle d'un peuple accueillant et sociable : il suffit de lire les témoignages du flibuster anonyme ou de Caillé de Castres.

De façon générale l'incompréhension des Européens est fréquente vis-à-vis de ces populations qui n'ont pas le même rapport qu'eux à la nature et aux biens matériels : « Ils sont paresseux extrêmement, et ayment mieux faire plus maigre chère et moins travailler. Ils ne pensent guères au lendemain, et ne font aucune provision que de manioc et des patates qu'ils plantent en saison. […] Ils ne se soucient ny de l'or, ny de l'argent, ny des pierres prétieuses.» affirme le père Raymond Breton. Caillé de Castres parle d'« un peuple qui fuit naturellement le travail ».

Les Kallinagos/Kalinas/Caraïbes ont pourtant permis aux Européens d'apprivoiser des espaces dépaysants avant d'en être chassés plus ou moins complètement ou d'être massacrés. En effet dans les premiers temps de la colonisation (1630/1660) les Européens survivront en leur empruntant techniques (agriculture, construction…) et moyens de subsistance avant que le système de la plantation esclavagiste n'atteigne sa maturation.

Quelques ouvrages de référence.(cf. La découverte de l'espace Caribéen, "Pour aller plus loin")

Auteur : Colette Joly

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