PROFESSEUR
 
La Martinique depuis 1945
Évolution politique, économique, sociale et culturelle

Document du professeur

Problématique de la séquence
Travailler une chronologie :
Document mobilisé : « les grandes dates » France-Antilles. Hors-série janvier 2000
Objectifs de la séquence
Objectifs méthodologiques :
- mobiliser des informations dans une chronologie.
- classer par thème les dates fournies.
- trouver des dates ruptures déterminant des périodes.
Pour les terminales L/ES/S :
- construire un plan de composition (thématique ou chronologique).
Pour les terminales STG :
- utiliser les informations pour mieux comprendre l'évolution.
- construire une « frise chronologique complexe ».
Objectifs de connaissance :
- mettre en parallèle pour une période donnée des dates, des évènements, des personnages appartenant à des domaines différents.
- mieux connaître, mieux comprendre l'évolution historique de sa région.
Les étapes
1 - faire une 1ère lecture en sélectionnant les évènements qui vous semblent importants.
2 - classer les évènements retenus par thèmes en surlignant avec des couleurs différentes.
3 - reporter dates et faits sur la frise chronologique complexe. (travail à compléter tout au long du cours).
4 - peut-on déceler des dates de ruptures, des périodes ? si oui, donner un titre.

Introduction

L'histoire qui lie la Martinique à la France est vieille de trois siècles.
- 1635 : Belain d'Esnambuc, corsaire français, prend possession de la Martinique et s'y installe.
- 1674 : elle est intégrée au domaine royal et devient colonie.
Elle le reste jusqu'en 1946 (19 mars) date à laquelle elle devient département français.

Document 1 : « La situation martiniquaise en 1946 » G. Léti France-Antilles Hors-série du 19/03/1996
La situation Martiniquaise en 1946
La Martinique en 1946, est dans une situation économico-sociale exiguë. L'économie et la société ont été déstabilisées par la crise du sucre entre les deux guerres et par le blocus pendant la guerre sous l'amiral Robert. L'exode vers la ville a commencé.
- Population : 210000 habitants; 7200 naissances soit 34 pour mille -2900 décès soit 13,80 pour. mille ; 482- abonnés téléphoniques; 108000 tonnes de marchandises transbordées (import­-export) ; 2 lycées ; 58 médecins ; 19 dentistes ; 38 sages-femmes ; 11 hôpitaux et cliniques
En 1946, au moment où la Martinique passe du statut de colonie à celui de département, la situa­tion économico-sociale de l'île qui se remet, petit à petit, des perturbations nées de la seconde guer­re mondiale, apparaître déplorable sinon catastro­phique.
Au point de vue économique, tout a été boulever­sé, tant les productions locales que le commerce. En effet, le pays, à l'issue d'une séparation de quatre ans avec sa métropole, a du vivre pratique­ment en autarcie dans des conditions difficile, le statut de colonie ne lui ayant pas permis de déve­lopper une économie autonome. Pendant la guer­re, 7000 hectares ont été plantés en vivres pour faire face aux besoins de première nécessité de la population, le troc ayant souvent primé sur la monnaie. Une partie du troupeau a été abattu. En 1946, la pénurie jusqu'alors à l'ordre du jour, tend à prendre fin avec la Libération mais les produits alimentaires importés concurrencent les produits locaux. Leur prix baisse et les surfaces en vivres diminuent de moitié.
En ce qui concerne les cultures d'exportation, on continue à cultiver le tabac, le coton, la vanille, l'ananas, le café, la cacao, la banane et la canne- à -sucre. Prenons les exemples de ces deux der­nières productions. La banane a connu avant la guerre un premier démarrage lié à la création de la société fruitière antillaise, au développement frigorifique de Fort-de-France et la mise en place d'une flotte rapide de navires bananiers à cales refroidies. Il faut ajouter à cela les prima à l'ex­portation. La superficie qui était de 200 ha en 1831 est passé à 2141 ha en peu de temps et l'ex­portation avoisine 39 à 40000 tonna. La guerre Mentit le mouvement et la surface plantée tombe à 440 ha, un essai d'exportation vers les États-­Unis n'a pas donné les résultats escomptés. La reprise s'amorce et les planteurs misent sur une production de 60000 tonnes.
Quant à la canne-à-sucre, des 16000 ha cultivés avant 1939, il ne reste en octobre 1944 que 7250 et le tonnage n'est grue de 219000 tonnes par rap­port aux 773000 cultivés avant la guerre. La situa­tion se redresse lentement, on pense atteindre 500000 tonnes et une production de 20000 tonnes de sucre.
La société reste stratigraphiée avec les blancs créoles comme leaders de l'économie. On assiste depuis l'avant-guerre à une forte concentration des fortunes et urne douzaine d'entre eux dispo­sent de fortune atteignant 10 à 15 millions de francs. Alors qu'à l'opposé les ouvriers agricoles, travaillant le plus souvent à la tâche, disposent d'un salaire de 12 à 15 F par jour sinon de 10 F D'autres possèdent des micropropriétés à flanc de morne. Le chômage reste fréquent dans l'inter-récolte et dans les communes nombreux sont les assistés.
Les voyages se font toujours par des bateaux transatlantiques, l'aéroport n'est construit qu'en 1948. Les déplacements intérieures se font avec beaucoup de risques dans des autobus en bois, a toit de tôle ou de bois, sur des mutes souvent défoncées pendant l'hivernage qui tiennent des montagnes russes le plus souvent. L'île compte alors 5000 voitures et camions.
La population afflue vers Fort-de-France. Toute la partie basse est occupée, les Terres-Sainvilles sont assainies mais le tout à l'égout n'est pas encore entamé. L'habitat insalubre est la règle dans les alentours immédiats de la ville comme le morne Pichevin. L alimentation commence à changer, le pain rem­plaçant progressivement la farine de manioc.
Geneviève Leti est professeur d'histoire et prési­dence du Cercle Condorcet. Elle est membre de l'as­sociation EGHIN. « France Antilles » Hors-série du 19 mars 1996.

Consigne : Trouver dans le texte une phrase qui résume la situation de la Martinique en 1946.

Analyse :

« En 1946, au moment où la Martinique passe du statut de colonie à celui de département, la situation économico-sociale de l'île qui se remet, petit à petit, des perturbations nées de la seconde guerre mondiale, apparaît déplorable sinon catastrophique. »
Problématique : En quoi la mise en œuvre de la départementalisation a-t-elle constitué un tournant historique majeur dans l'évolution politique, économique et sociale de la Martinique ?

I. L'ÉVOLUTION POLITIQUE : LA POURSUITE DE L'ASSIMILATION.

A - De la colonie au département

1 - La Martinique en 1945 : une « vieille colonie » à statut particulier.

Après le départ de l'Amiral Robert, le 30 juin 1943, la Martinique retrouve le statut de colonie qu'elle avait avant la Seconde Guerre mondiale. Elle porte officiellement le nom de colonie et a à sa tête un Gouverneur, qui représente le gouvernement français. Il a des pouvoirs considérables, sans commune mesure avec ceux que possèdent les préfets des départements métropolitains. Le Gouverneur dirige l'administration, l'armée, la justice et peut même établir des relations directes avec les pays voisins de l'archipel Caraïbe ou du continent voisin.
Etant comme la Guadeloupe, la Guyane, la Réunion, une « vieille colonie », la Martinique a pu bénéficier en 1848 et après, de certaines avancées démocratiques qui lui ont conféré un statut particulier au sein de l'Empire colonial français : suffrage universel masculin, élection de conseillers municipaux, généraux, députés, sénateurs, lois Jules Ferry sur l'école…Lorsque la loi du 19 mars 1946 est votée, on peut dire que l'assimilation est en marche depuis un siècle.

2 – La loi du 19 mars 1946 : la Martinique devient un département français.

Par la loi votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale constituante, le 15 mars 1946, la Martinique devient un département français. Le rapporteur de cette loi est le député communiste martiniquais Aimé CÉSAIRE. Le document1 est un extrait des débats parlementaires qui se tinrent les 12 et 14 mars et qui précédèrent le vote.

Doc.1 Pourquoi l'assimilation ? (Livret Hatier Lycée p.62.)
Nous considérons que seule l'assimilation résout les problèmes des vieilles colonies et répond à leurs besoins actuels... Si les Antilles et la Réunion ont besoin de l'as­similation pour sortir du chaos politique et administratif dans lequel elles se trouvent plongées, elles en ont surtout besoin pour sortir du chaos social qui les guette. Citoyen français comme l'habitant de Paris ou de Bordeaux, le Martiniquais par exemple, se trouve à l'heure actuelle aussi peu protégé que l'habitant de la forêt ou du désert contre l'ensemble des risques sociaux. Dans un pays à salaires anormalement bas et où le coût de la vie se rapproche très sensiblement du coût de la vie en France, l'ouvrier est à la merci de la maladie, de l'invalidité, de la vieillesse sans qu'aucune garantie lui soit accordée. Dans ces territoires où la nature s'est montrée magnifiquement généreuse, règne la misère la plus injustifiable.
Aimé Césaire, député de la Martinique. Extraits des débats du Parlement

Consigne : Étudier ce document pour mettre en évidence les arguments présentés par les partisans de l'assimilation en 1946.

Analyse :
(« Le chaos politique et administratif » : cette expression traduit les incohérences du système colonial : toute puissance du gouverneur, lenteurs administratives. « Le chaos social » traduit la misère et la grande pauvreté qui règnent dans la Martinique de 1946. Pour combattre le sous-développement l'assimilation est considérée depuis un siècle, comme une stratégie susceptible d'apporter à terme des solutions, notamment par l'application de la législation sociale et la mise en œuvre de l'égalité des droits entre les citoyens de la Martinique et ceux de la Métropole.

Doc.2 La loi du 19 mars 1946.(Livret Hatier Lycée p.63)
L'Assemblée nationale constituante adopte ;
Le président du Gouvernement provisoire de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Art. 1 : Les colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française sont érigées en départements français.
Art. 2 : Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine et qui ne sont pas encore appliqués à ces colonies feront, avant le ler janvier 1947, l'objet de décrets d'application à ces nouveaux départements.
Art. 3 : Dès la promulgation de la présente loi, les lois nouvelles appli­cables à la métropole le seront dans ces départements sur mention expresse insérée aux textes. La présente loi, délibérée et adoptée par l'Assemblée nationale constituante, sera exécutée comme loi de l'Etat.
Fait à Paris le 19 mars 1946. Félix Gouin.Journal officiel du 20 mars 1946.

Consigne : Étudier ce document

Analyse :
Il convient de préciser que l'Art.3 qui pose le problème de la « mention expresse » a été supprimé et remplacé par l'Art.73 de la Constitution de la IVème République (27 octobre 1946) qui stipule que « le régime législatif des départements d'outre-mer est le même que celui des départements métropolitains, sauf exceptions déterminées par la loi ».
Au total, au moment où commence le mouvement de décolonisation dans les grands empires coloniaux, la Martinique sort du joug colonial d'une manière très spécifique. Cette loi est considérée par la population comme un grand tournant historique : de retour en Martinique après le vote, les deux députés communistes CÉSAIRE et Léopold BISSOL sont accueillis par 10 000 personnes à Fort-de-France !

3 – La départementalisation des institutions.

Le gouverneur disparaît pour laisser la place au préfet : le 1er préfet de la Martinique, Pierre Trouillé arrive le 23 août 1947. Les préfets d'outre-mer ont les mêmes pouvoirs que leurs homologues métropolitains mais ont en plus des attributions exceptionnelles dues à l'éloignement. Ainsi, ils ont sous leurs ordres tous les corps d'armée présents dans le département. Ils détiennent certains pouvoirs dévolus au ministre de l'intérieur (expulsion des étrangers, maintien de l'ordre public), ils fixent certains prix (essence, gaz, transports publics… ).
Les ministères parisiens installent leurs services publics : DDA, DDE, DDASS, Éducation Nationale, Trésorerie Générale, Services fiscaux, Postes et Télécommunications, Police Nationale… La réglementation métropolitaine suit : régime douanier, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, TVA…
Le système de protection sociale est progressivement introduit : mise en place de la Caisse Générale de Sécurité Sociale en 1948, réparation des accidents du travail et des maladies professionnelles en 1949, puis assurance maladie, maternité, invalidité, décès, en 1954 - 1956, versement d'Allocations Familiales par la CGSS de 1956 à 1972, date de création de la CAF…

Les assemblées locales (Conseil Général et conseils municipaux) sont calquées sur le modèle métropolitain avec quelques adaptations pour le Conseil Général (exemple : assiette et répartition de l'octroi de mer).

B - L'évolution des institutions

1 - La régionalisation.

Sous le gouvernement Messmer, La réforme régionale (loi du 5 juillet 1972), transforme les DOM en régions monodépartementales. Cette région n'est pas une nouvelle collectivité territoriale : c'est un établissement public territorial, elle a peu de pouvoirs, elle a surtout un rôle consultatif en matière économique et sociale. Sa composition indique bien cette limitation : l'art.20 indique : « lorsqu'une région ne comprend qu'un département, le conseil régional est composé des membres du conseil général ainsi que des députés et des sénateurs […] et des représentants des communes… »
Le préfet est le chef de l'exécutif régional, ce qui renforce ses pouvoirs, et nous indique que nous ne sommes absolument pas encore dans une logique de décentralisation.

2 – La décentralisation.

La décentralisation dont l'objectif est de transférer des compétences de l'Etat aux collectivités territoriales, est mise en œuvre par les socialistes avec l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981. Par les lois du 2 mars et du 31 décembre 1982, relative aux droits et libertés des communes, départements et régions, les Régions d'outre-mer deviennent des collectivités territoriales de plein droit. Les Conseils régionaux reçoivent comme compétence générale de « promouvoir le développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique de la région et l'aménagement de son territoire ».
Le Conseil régional est l'organe délibérant de la Région, la loi a fixé à 41 le nombre de conseillers régionaux pour la Martinique, ils sont élus pour 6 ans au scrutin de liste, à la proportionnelle. Le président du Conseil régional a des pouvoirs très importants, il est le chef de l'exécutif régional, il remplace donc le préfet dans cette fonction.
La décentralisation touche également le Conseil général qui voit ses compétences s'élargir en matière d'action sociale, de transports, d'éducation (niveau collège).
La décentralisation touche également les communes qui voient leurs compétences s'élargir en matière d'action sociale, de transports, d'éducation (niveau primaire), de culture, d'environnement, d'urbanisme.
Au total, la décentralisation marque un tournant historique dans l'évolution institutionnelle de la Martinique, elle se fait selon un schéma quasi identique à celui de la Métropole, la logique assimilationniste est toujours en place.

3 – L'Europe : le 5ème niveau d'administration.

1957 : L'entrée dans la CEE : la Martinique étant un département français, elle entre de plein droit dans la CEE dès sa création (art. 227 du Traité de Rome), elle doit appliquer les règles (libre circulation des hommes et des marchandises), et elle peut bénéficier des aides (FEDER, FSE…).
Approfondissement : progressivement se constitue une entité nouvelle : les 7 régions ultrapériphériques et la CEE met en œuvre en même temps une politique propre à ces régions : Fonds structurels, Objectif 1, POSEIDOM (Programme d'Options Spécifiques à l'Eloignement et à l'Insularité des DOM).
L'implication de l'Europe dans le développement économique et social de la Martinique est tel qu'on peut dire qu'un 5ème niveau d'administration est venu se surimposer aux 4 autres (étatique, départemental, régional, communal).
→ recours à l'autorité supra-nationale : modification de certaine revendication et prise de distance vis-à-vis de la France.
→ risque de remise en question avec l'élargissement de l'Europe vers l'Est.

C – La vie politique depuis 1945 : de l'espoir à la désillusion.

1 - La naissance du PPM

Doc.3 La Martinique est un faux département. (Livret Hatier Lycée p.63)
Malgré la loi du 19 mars 1946, la Martinique est un faux départe­ment. Elle demeure un pays dont les caractères économiques, sociaux, politiques et culturels sont typiquement coloniaux(...)
Les colonialistes français, qui sont habiles à masquer les injus­tices et les inégalités, déclarent que la Martinique n'est plus une colo­nie. Les faits prouvent le contraire(...)
Le petit Martiniquais, au contact de la culture colonialiste, a perdu de vue sa propre histoire, ses caractères propres. Mais malgré cette « assimilation », les Martiniquais prennent de plus en plus conscience des caractères propres qui les différencient du Français. Notre men­talité, nos traditions folkloriques, notre histoire originale qui révèle une lutte incessante contre le colonialisme, ne sont pas identiques à celles des Français.
L'examen de ces caractères économiques, sociaux, politiques et culturels a montré que notre pays est un pays différent de la France, un pays colonial, un pays soumis à l'impérialisme (…).Partout dans le monde les peuples coloniaux luttent pour l'indé­pendance (…). Les Martiniquais doivent prendre une part beaucoup plus large à la gestion de leurs propres affaires.
Publication de la Fédération martiniquaise du Parti communiste. Janvier 1956.

Doc.4 - Manifestation à Fort-de-France en 1948.

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Analyse :
Les communistes qui avaient demandé l'assimilation sont très vite déçus devant les lenteurs du gouvernement à mettre en application les lois sociales en Martinique. Il faut faire des grèves, descendre dans la rue, manifester pour obtenir par exemple les assurances maladie, maternité, invalidité, décès…en 1954, soit 9 ans après le 19 mars 1946. Les discriminations de l'époque coloniale persistent : ainsi, les fonctionnaires martiniquais doivent faire 98 jours de grève en 1950 et 1953 pour obtenir les mêmes traitements que leurs collègues métropolitains mutés en Martinique (origine des 40%). Les préfets pratiquent en outre une répression féroce :
1948 : le Carbet : 3 morts et des blessés par balles,
1948 : emprisonnement des 16 de Basse-Pointe,
1951 : la Chassin : 2 blessés par balles
Les communistes parlent alors d'échec de la départementalisation, ils rejettent l'assimilation, transforment la Fédération du PCF en PCM. Après les émeutes sanglantes de décembre 1959 (3 morts), ils revendiquent l'autonomie en 1960.
Aimé Césaire
qui a quitté le Parti communiste Français (Lettre à Maurice Thorez du 24 octobre 1956), fonde son propre parti, le PPM en mars 1958 et adopte le mot d'ordre d'autonomie quelques années plus tard.

2 - Les départementalistes contre les autonomistes. (1960-70)

Dans les décennies 60 et 70, dans le paysage politique martiniquais, deux grandes forces s'opposent sur la toile de fond de la guerre froide :
la droite, gaulliste, est farouchement départementaliste, le principal parti est l'UNR (Union pour la Nouvelle République). Les opposants de gauche sont qualifiés de séparatistes.
La gauche, autonomiste, farouchement opposée à la départementalisation ; les principaux partis sont le PCM (en déclin) et le PPM qui développe son influence au-delà de Fort-de-France. Ils qualifient les partis de droite d'assimilationnistes.

3 - L'apparition du mouvement nationaliste (1970-90)

Au cours des décennies 70, 80, 90, le paysage politique se diversifie avec l'apparition d'un courant nationaliste représenté par une multitude d'organisations : MIM, MODEMAS, CNCP, PALIMA, GRS, Combat Ouvrier… Ce courant qui revendique l'indépendance a pris le contrôle du mouvement syndical (CSTM, CGTM, CDMT, UGTM) et a réussi à enregistrer des succès électoraux (majorité absolue au Conseil Régional en 2004, 2 communes, quelques conseillers généraux).
Aujourd'hui, la lutte politique s'est complexifiée avec l'existence de trois pôles :
La droite départementaliste en difficulté,
Le PPM autonomiste, en difficulté : querelle « des chefs », création du RDM
Le courant nationaliste qui cherche à faire évoluer le statut (évolution institutionnelle) vers plus d'autonomie.

II - L'ÉVOLUTION SOCIO-ÉCONOMIQUE : LA MARTINIQUE EN QUÊTE DE DÉVELOPPEMENT

Problématique : Quel développement pour quelle société ?

Depuis la départementalisation en 1946, la Martinique bénéficie du même cadre de gestion que le reste de l'espace français. Que devient l'héritage économique et social hérité de l'époque coloniale ?

Consigne : S'appuyer sur la chronologie et la compléter

Doc.1Martinique : chiffres du PIB (1950-1999)

Population
(Nombre d'habitants, milieu d'année)
Indice (fin d'année) des prix et salaires
P.I.B.
en francs
par habitant
Prix
Salaires
1950
216 618
932
1960
281 802
1 710
1966
314 300
100
100
3 312
1970
325 484
123,6
148
4 915
1973
328 809
154,3
229
7 268
1974
1975
328 476
210,6
331
10 220
1980
326 138
370
636
18 713
1981
326 236
427
763
22 577
1982
326 510
469,5
890
27 390
1983
326 832
520,1
962
30 514
1984
327 643
561
1049
0
1999
381 325
0

Sources : 1950 à 1959 Source SEDES – 1960/1963 5ème Plan, 1970 à 1978 Cpte Eco – 70/78 n°15 p°36, 1978 à 1980 Cpte Eco – 78/81 n°112, 1981 à 1983 Comptes semi-définitifs, 1999 INSEE

Analyse :
- Une population qui double
- Des prix multipliés par 5 et des salaires multipliés par 10
- PIB multiplié par 60
Le niveau de vie a augmenté, la Martinique s'est enrichie

Problématique : Vers quel développement ? Ou : du sous-développement vers un mal développement ?

A - La tertiarisation accélérée de l'économie

Doc 2 : Graphique : Évolution de la population active occupée par grands secteurs

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Analyse :
De 1954 à 1999 : la population active du primaire est en nette régression, celle du secondaire est stable et faible et celle du tertiaire est en pleine expansion.

1 - Crise et mutation du secteur agricole

Doc 3 : Graphique : L'évolution des deux premiers produits agricoles de 1945 à 2001

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Analyse :
- Les années 1950-60 : prédominance d'une agriculture de plantation destinée à l'exportation vers la métropole.
- 48% de la population active est occupée dans l'agriculture en 1954 ; 40% en 1961.
- La canne à sucre : La mise en valeur de l'espace pendant la colonisation a été fondée sur la monoculture tropicale et l'économie de plantation. Culture séculaire, la canne a régné sur la Martinique pendant trois siècles. Elle fut à l'origine du commerce triangulaire et donc de l'esclavage.
- La fin de la guerre permet un redressement rapide de la production (1945 : 550 000 t ; 1965 : 1 200 000 t ; multiplication par 2). La courbe est ascendante jusqu'en 1965 et elle est encore la 1ère production de l'île loin devant la banane (1945 : 60 000 t ; 1965 : 200 000 t) qui cependant progresse.

- Les années 1970 : crise du système de plantation
La canne à sucre
 : à partir de 1965, la production chute : elle passe de 1 200 milliers de tonnes à 300 en 1976 et 200 milliers en 1999 soit une baisse de 80%. Cet effondrement résulte de multiples causes :
- des facteurs physiques : topographie qui empêche la mécanisation, les calamités naturelles
- des facteurs techniques : matériel archaïque, absentéisme de la main-d'œuvre
- la conjoncture économique : surproduction mondiale du sucre, concurrence du sucre de betterave

Au début des années 1960, on dénombrait 14 usines à sucre, 105 distilleries. Aujourd'hui il reste une usine à sucre et huit distilleries.
C'est le déclin de l'économie sucrière. Les aides des pouvoirs publics ont échoué. Les gros usiniers et planteurs ont préféré miser sur une culture plus rentable : la banane.
De 1946 à 1999, la production de la banane est multipliée 4 : 280 000 tonnes ont été produites en 1999. Elle est devenue la 1ère culture commerciale et le principal produit d'exportation.
Elle a bénéficié d'un certain nombre d'avantages : mutations technologiques (emballages cartons, conteneurisation), aides pour moderniser les hangars, garantie d'écoulement et de garantie des prix sur le marché européen. De Gaulle en 1962 : marché français réservé 2/3 pour les Antilles, 1/3 pour l'Afrique.

Des incertitudes pèsent sur son avenir : cœur de la guerre commerciale France/EU, risques de dégradation de l'environnement…
Parallèlement une politique de diversification agricole a été menée depuis 1946 : l'élevage occupe des surfaces importantes, production légumière et fruitière pour le marché local. Des cultures spécialisées destinées à l'exportation ont été développées telles que : l'ananas, le melon, le tabac, le lime, l'avocat, les fleurs…(construction du barrage de la Manzo sous V.G d'Estaing) mais les résultats sont globalement négatifs à cause de problèmes techniques, financiers, sanitaires et la concurrence étrangère des pays à bas salaires.

Malgré son déclin, la production agricole est encore aujourd'hui une composante non négligeable de l'économie de la Martinique puisqu'elle constitue l'essentiel de ses exportations.

2 - La faiblesse des activités industrielles

1954 : 28% de la population active
1961 : 21% de la population active
Aujourd'hui : stagnation autour des 18% de la population active si on inclut la construction.
Ne possédant aucune matière première, défavorisée par l'absence de tradition industrielle et le poids élevé des salaires et charges sociales, la Martinique est faiblement industrialisée.
A partir de 1961, quelques infrastructures ont vu le jour, par le biais de l'Etat : 2 centrales électriques, une raffinerie de pétrole, 4 zones industrialo-commerciales (La Lézarde, les Mangles, Californie, la Pointe des Carrières).
Les industries demeurent pour la plupart, des PME ayant moins de 10 salariés. Elles sont cantonnées dans le secteur de l'agro-alimentaire ou dans des secteurs spécialisés (menuiserie, aluminium…)
En 1960, l'Etat a mis en place des incitations financières et fiscales, peu de résultats : étroitesse du marché, conflits sociaux, capitaux locaux tournés davantage vers les secteurs jugés plus rentables comme l'import-export, la grande distribution, l'immobilier, le tourisme…

3 - Explosion du secteur tertiaire 

1954 : 28% de la population active
1999 : 75% de la population active. On parle d'hypertrophie de ce secteur (80% du PIB).
C'est un secteur qui se développe indépendamment des 2 autres : par l'essor de la fonction publique depuis la départementalisation de 1946. L'Etat est devenu le 1er employeur : effectifs de la fonction publique en 1998 : 37 287 fonctionnaires (35% de la population active ) contre 2 000 en 1946. Si l'on ajoute aux traitements des fonctionnaires, les subventions diverses, allocations familiales et autres…
- Dépendance du transfert de fonds publics
- Augmentation du pouvoir d'achat et du niveau de vie artificiel
Elle doit importer la plus grande partie de ses besoins. Il en découle un déséquilibre de la balance commerciale et une dépendance plus grande vis-à-vis de l'extérieur. Avant 1940 l'île était excédentaire, en 1985 le taux de couverture était de 24%, il est aujourd'hui de 16%.
- La tertiarisation de l'économie se marque aussi par le développement du secteur touristique.
Les atouts de la Martinique sont nombreux : sites naturels, sécurité, infrastructures…Le nombre de chambres d'hôtels est passé de 241 en 1960 à 1 148 en 1970. Aujourd'hui on en dénombre 4 500 environ (plus autres moyens d'hébergement : gîtes ruraux… ). En 1973 200 000 touristes ont visité la Martinique, en 1999 550 000 (provenant essentiellement de la métropole). C'est un des grands espoirs de la Martinique mais aussi une source d'inquiétude du fait de la volatilité de la clientèle.

L'économie de la Martinique n'est plus une économie agricole avec le déclin du système de plantation. C'est une économie profondément marquée par la tertiarisation : l'île s'est transformée en centre de consommation dépendant des transferts de fonds ce qui a accru l'extraversion de son économie et sa dépendance.
Cette mutation a eu des répercussions sociales.

B – D'incontestables progrès sociaux

La transformation de la colonie en département a eu des effets immédiats en matière de progrès social, d'hygiène, de santé et d'éducation.

Consigne : trouver les chiffres de 1946 dans le document 1

Analyse :
1946 : 2 lycées, 58 médecins, 19 dentistes, 38 sages-femmes, 1 413 lits d'hôpitaux
2000 : 20 lycées, 780 médecins, 130 dentistes, 140 sages-femmes, 4 100 lits d'hôpitaux…
La population est sortie d'un sous-développement chronique.

1 - Les années 1950-60 : un sous-développement encore prégnant

Consigne : A partir du document 1 (partie I) et de la chronologie, relever les éléments qui témoignent d'un sous-développement encore prégnant dans les années 1950-1960

Analyse :
La misère latente, les inégalités sociales accrues par l'arrivée des fonctionnaires métropolitains, l'explosion démographique, le chômage endémique créés de vives tensions : grèves (fonctionnaires prime de vie chère, ouvriers de la banane et de la canne…) et manifestations se multiplient. Elles dégénèrent souvent en émeutes et les issues tragiques ne sont pas rares.
Chronologie : Exemple des « Trois Glorieuses » ou « évènements de décembre 1959 » à Fort-de-France (France-Antilles, Hors-série janvier 2000 p.11)
Révolte populaire née d'un banal accident de la circulation : 3 jeunes manifestants sont tués.
Pour empêcher d'autre révolte, l'Etat prend des mesures : SMA pour former sur place une main-d'œuvre disponible ; BUMIDOM pour envoyer en « métropole » les chômeurs sans perspectives.
La 2nde phase de la départementalisation se met en route et se traduit par la modernisation des infrastructures et l'élévation du niveau de vie.

2 - Un incontestable développement social

- Vers une société de consommation 

Doc.1Martinique : Niveau d'équipements des ménages (1974-1999)

Niveau d'équipement
(% des ménages équipés)
1974
1982
1990
1999
Eau courante
40,1
77,7
90,2
98,5
Électricité
45,3
72,3
90,3
97,3
Douche
28,7
62,4
82,5
95,1
WC
35,8
36,5
84,7
95,5
Tout à l'égout
nd
22,5
38
39,3

Source : INSEE, RGP.

Analyse du tableau :
L'équipement des ménages en biens durables a atteint des taux élevés. 80% sont équipés en machine à laver, 94% en téléviseur, 92% en téléphone. La Martinique est entrée dans la société de consommation.
Les modes de consommation changent : recul du commerce de proximité au profit des hypermarchés et des centres commerciaux, développement du crédit et de la publicité.
Forte consommation a des aspects négatifs : gaspillage, embouteillages, pollution…

- Vers un régime démographique moderne

Doc.2Martinique : Répartition de la population par grandes classes d'âges (1967-2000)(%)

0-19 ans
20-59 ans
60 ans et plus
1967
1982
2000
1967
1982
2000
1967
1982
2000
54,4
43,6
31,9
37,9
44,9
54,6
7,0
11,5
13,7

Source : INSEE, RGP.

Analyse du tableau :
- Fin des années 1960, les jeunes de moins de 20 ans représentent la moitié de population (baby boom de l'après guerre, forte fécondité). Aujourd'hui ils représentent 30% de la population totale.
- Les 20-59 ans sont le groupe majoritaire.
- Le groupe des 60 ans et plus a été multiplié par 2
- Ralentissement de la natalité (scolarisation des filles, entrée dans la vie active, société de consommation, contraception…). Allongement de l'espérance de vie, retour des retraités…

- Progrès de l'enseignement
La scolarisation n'a cessé d'augmenter (95% aujourd'hui). Le nombre de candidats au bac a doublé en 20 ans (de 1977 à 1997).

En apparence, on peut parler de progrès dans de nombreux domaines mais ces progrès sont mal partagés.

3 - Douloureuses mutations sociales ou vers un mal-développement ?

- Le chômage

Doc.3Martinique : Taux de chômage par sexe (1997-2000)

Taux de chômage
1997
1998
1999
2000
Total
28,8
29,2
28,1
26,3
Hommes
25,4
26,2
24,4
22,1
Femmes
32,6
32,5
32
30,7

Source : INSEE, RGP.

Analyse du tableau :
Amorcée en 1999, la baisse du taux de chômage en Martinique se poursuit mais reste largement supérieur à celui de la métropole (10%). Ce chômage endémique touche les femmes, les jeunes et les non ou peu diplômés.
Par ailleurs il s'agit de plus en plus d'un chômage de longue durée (+1 an).
- Hausse de l'exclusion
En 2000, un système d'aide à l'emploi a été mis en place : CAE (contrat d'accès à l'emploi) s'adresse aux RMI, aux chômeurs longue durée, aux handicapés (entreprises du secteur marchand). CES (contrat emploi solidarité) insertion de personnes sans emploi par l'acquisition de compétences (CT, secteur public, associations). CIA (contrat d'insertion par l'activité) temps partiel d'une durée de 3 à 24 mois (secteur non marchand) CEJ (contrat emploi jeune) pour les - de 26 ans, temps plein allant jusqu'à 60 mois.
- Multiplication des emplois précaires.

Plus qu'en France hexagonale se développe une société à deux vitesses qui ne peut que générer de graves problèmes sociaux : errance, drogue, délinquance, violence ...

III - L'ÉVOLUTION CULTURELLE DEPUIS 1945.

Entre 1945 et aujourd'hui, la Martinique sort d'un modèle archaïque pour entrer dans la modernité

A- L'accès progressif à la culture de masse.

1 – La modernisation des médias

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'entrée dans la culture de masse se fait surtout par le cinéma, avec l'invasion des films américains de série B dans quelques salles privées mais surtout dans les salles paroissiales de commune.
La radio qui fait une entrée timide avec la RTF (moins de 7h par jour en 1955), connaît par la suite un grand essor avec l'arrivée de stations privées concurrentes périphériques (Radio Antilles et RCI).
La 1ère émission de télévision eut lieu le 21 décembre 1964, et début 1965 il n'y avait que 200 postes dans l'île, qui recevaient 2h30 de programme par jour ! en 1990, 82% des ménages étaient équipés.
En cette même année 1964 naît le journal France-Antilles qui devient quotidien quelques années plus tard et introduit une véritable révolution dans le domaine de la presse écrite en Martinique.
Dans le même temps, les effectifs scolaires explosent en s'accompagnant d'une démocratisation de l'enseignement secondaire (multiplication des collèges, lycées et lycées professionnels, augmentation considérable du nombre de bacheliers et d'étudiants ).

2 – Une uniformisation culturelle croissante.

Des progrès considérables ont été accomplis dans le domaine de la consommation d'informations écrites. La presse locale, métropolitaine, internationale est facilement accessible dans les librairies qui se sont multipliées, dans les rayons des grandes surfaces. Des bibliothèques municipales, souvent bien équipées ont été installées : en 2000, 17,6% de la population sont inscrits dans les bibliothèques de l'île.
Au cours des dernières décennies, si on a assisté à un recul très net du cinéma, avec la fermeture de toutes les salles paroissiales et de plusieurs salles privées, c'est parce qu'il y a eu essor considérable de la télévision qui a créé de véritables phénomènes de société avec des feuilletons comme Dallas ou Amour, gloire et beauté. L'arrivée de chaînes câblées ou satellites a renforcé la tendance. La radio joue un rôle aussi important que la télévision comme lieu de formation et d'expression de l'opinion publique.

B - Les mutations des valeurs et des croyances.

1 – Le recul de la pratique religieuse

Au début de la période, l'Eglise catholique avait une influence considérable. Les églises étaient pleines à craquer le dimanche, les cimetières étaient remplis à la Toussaint et on ne dansait pas pendant le carême. Puis au cours des 4 dernières décennies, on a assisté à une forte baisse de la pratique religieuse : on va moins à la messe, on se confesse moins, on communie moins, il y a une chute des vocations, certaines communes se retrouvent sans prêtre.
Dans le même temps, les mariages ont reculé, les divorces ont explosé, la société est devenue plus « permissive » (mode, carnaval..).

2 - Une élévation très nette du niveau scientifique et culturel de la population.

Prenons deux exemples :
- la santé : il y a un recul très net des pratiques archaïques (quimboiseur, rimed razié), remplacées aujourd'hui par les pratiques médicales modernes,
- l'attitude face à l'actualité : chaque jour, des milliers de gens s'intéressent à l'actualité, l'écoutent ou la regardent avec attention et n'hésitent pas à prendre position et à débattre de façon très positive.
Mais l'entrée dans la modernité de la société de consommation ne se fait pas sans effets pervers : violence et délinquance font désormais partie du paysage socioculturel quotidien des Martiniquais.

C – L'éclosion d'une véritable culture martiniquaise

1 - Négritude et assimilation jusqu'aux années 60

Deux forces antagonistes se développent dans un contexte de décolonisation (anticolonialisme et panafricanisme).
- succès de la Négritude : Césaire en est la figure de proue. Il s'agit de magnifier, de renverser l'image de l'Afrique mise à mal par la colonisation. Être « Nègre » doit être source de fierté, de dignité et non de reniement. Les chantres de la négritude sont : A Césaire, L.S. Senghor, Léon Gontran Damas.
- triomphe de l'assimilation : A Césaire est le rapporteur de la loi de départementalisation, à l'école et dans les familles c'est la chasse au créole.

2 - La « quête identitaire » à partir des années 1960

- Théorie de « l'aliénation » (F Fanon) : c'est un dépassement de la Négritude puisque c'est un phénomène qui s'étend à tous les dominés (universalisme).
- Théorie de « l'Antillanité » (E Glissant) : Part d'un double constat : le Martiniquais n'est pas Africain, il est soumis à l'assimilation culturelle. Il doit donc se réapproprier le réel antillais au travers de la plantation, le créole, les résistances, les syncrétismes…
- Théorie de la « créolité » (années 90) : dans la lignée de l'Antillanité, la réalité antillaise doit être perçue dans sa réalité propre, c'est-à-dire le créole, ouverte aux brassages, au carrefour des langues et des cultures. (Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Maryse Condé)

CONCLUSION

60 ans après, les bilans de la départementalisation offrent l'image d'évolutions politiques, socio-économiques et culturelles complexes. Aux espoirs suscités par le vote de la loi de 1946, répondent rapidement les premières désillusions face à une égalité sociale incomplète, dans un climat politique de plus en plus revendicatif. Des réalités plus nuancées s'imposent à partir des années 1980 : celle d'un incontestable développement social étroitement lié à une économie assistée, de projets politiques plus ouverts sans toutefois obtenir de consensus, d'une quête identitaire en voie de reconnaissance culturelle.

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Synthèse

I - Évolution politique : poursuite de l'assimilation
● De la colonie au département
- Une « vieille colonie » qui a bénéficié depuis 1848 d'avancées démocratiques. Quand la départementalisation, demandée par le député communiste A. Césaire, est votée le 19 mars 1946 à l'unanimité, l'assimilation est commencée depuis un siècle.
- Départementalisation progressive des institutions : le gouverneur laisse la place au préfet, les ministères parisiens installent leurs services publics, le système de protection social se met difficilement en place, les assemblées locales sont calquées sur le modèle métropolitain.
L'évolution des institutions
- La réforme régionale transforme les DOM en régions monodépartementales (loi du 5/07/1972. Par les lois des 2/03 et 31/12 1982, les Régions d'Outre-Mer deviennent des collectivités territoriales de plein droit.
La vie politique depuis 1945
- Les communistes qui avaient demandé l'assimilation sont vite déçus devant les lenteurs à mettre en application les lois sociales. Ils parlent d'échec de la départementalisation.
- Années 60-70 : s'opposent la droite gaulliste (UNR), départementaliste et la gauche (PCM et PPM), autonomiste.
- Années 70-80-90 : le paysage se diversifie avec la naissance d'un courant nationaliste (MIM, GRS, PALIMA, MODEMAS…) qui revendique l'indépendance.
II – Évolution
socio-économique : la Martinique en quête de développement
la tertiarisation accélérée de l'économie
- crise et mutation du secteur agricole : les années 50-60 : la prédominance d'une agriculture de plantation destinée à l'exportation vers la métropole. Les années 70 : crise du système de plantation avec le déclin de l'économie sucrière au profit d'une culture plus rentable : la banane. Parallèlement une politique de diversification agricole a été menée depuis 1946. 
Malgré son déclin, la production agricole est encore aujourd'hui une composante non négligeable de l'économie de la Martinique puisqu'elle constitue l'essentiel de ses exportations.
- la faiblesse des activités industrielles : ne possédant aucune matière première, défavorisée par l'absence de tradition industrielle et le poids élevé des salaires et charges sociales, la Martinique est faiblement industrialisée. Les industries demeurent pour la plupart des PME (- 10 salariés) cantonnées dans le secteur de l'agroalimentaire.
- L'explosion du secteur tertiaire : s'est développé par l'essor de la fonction publique et du tourisme. L'île s'est transformée en « centre de consommation » dépendant des transferts de fonds ce qui a accru l'extraversion de son économie et sa dépendance.
D'incontestables progrès sociaux mal partagés
- Les années 50-60 permettent à la population de sortir du sous-développement chronique mais les inégalités sont grandes (émeutes souvent tragiques). A partir de 1970, la 2ème phase de départementalisation se traduit par la modernisation des infrastructures et l'élévation du niveau de vie (régime démographique moderne, progrès de l'enseignement…).
- Le mal développement : fort taux de chômage, multiplication des emplois précaires.
Une société à deux vitesses se développe et génère de graves troubles sociaux
.
III – Évolution culturelle
Accès progressif à la culture de masse
- Modernisation des médias
 : l'accès à la culture de masse se fait par le cinéma dès 1945, entrée de la radio en 1955 avec la RTF, 1ère émission de télévision le 21/12/1964, France-Antilles devient un quotidien en 1966…
- Uniformisation culturelle croissante : démocratisation de l'enseignement, progrès dans le domaine de la consommation d'informations écrites (presse facilement accessible, bibliothèques…), recul du cinéma au profit de la télévision avec l'arrivée des chaînes câblées ou satellites, progrès de la radio comme lieu de formation et d'expression de l'opinion publique.
Mutations des valeurs et des croyances
- Forte baisse de la pratique religieuse
- La société est devenue plus « permissive »
- Elévation du niveau scientifique et culturel : recul des quimboiseurs, intérêt pour l'actualité, prise de position, débat…
Eclosion d'une véritable culture martiniquaise
- Jusque dans les années 1960, 2 forces antagonistes se développent : on revendique l'identité nègre, la Négritude (A. Césaire, L.S. Senghor, L-G. Damas) on se réfère à l'Afrique et en même temps on pratique l'assimilation.
- A partir de 1960, se développe la théorie de l'aliénation (F Fanon).
- Fin des années 1960, E. Glissant propose une réappropriation de la spécificité : théorie de l'Antillanité.
- Fin des années 1980, la réalité antillaise doit être perçue dans sa réalité propre : la créolité (J. Bernabé, P. Chamoiseau, R. Confiant)

Le sens des mots
Vieille colonie : vocable utilisé pour distinguer les colonies datant du XVIIème siècle des nouvelles possessions françaises d'outre-mer
Courant nationaliste : revendique l'indépendance
Mal développement : situation de distorsion entre un niveau élevé de consommation et un niveau faible des capacités productives réelles.
Assimilation : politique du pouvoir métropolitain qui vise à amener les peuples coloniaux au niveau culturel du peuple colonisateur par des réformes de l'éducation, de la culture et du développement économique. Assimiler c'est aussi nier la personnalité du peuple colonisé.
Aliénation culturelle : conditionnement par une culture dominante, menant à un malaise identitaire
Antillanité : « c'est la réalité antillaise, sa culture, sa géographie, ses traditions, sa langue que l'écrivain doit explorer et faire vivre […] pour en montrer la valeur et désaliéner l'Antillais […] » D Delas
Créolité : réalité antillaise, c'est-à-dire créole, ouverte aux brassages, au carrefour des langues et des cultures autonomie.

Les sigles
PCM : Parti Communiste Martiniquais
PPM : Parti Progressiste Martiniquais
RDM : Rassemblement Démocratique Martiniquais
MIM : Mouvement indépendantiste Martiniquais ; GRS : Groupe Révolutionnaire Socialiste ; PALIMA : Parti pour la Libéralisation de la Martinique
BUMIDOM : organisme d'état qui, entre 1961 et 1981, organisa la migration de travail de 160000 Antillais, Guyanais et Réunionnais. Depuis le mouvement migratoire s'est ralenti.
DFA : Département Français d'Amérique
RUP : Région ultra Périphérique

Les dates clés
19 mars 1946 : la Martinique devient département
1948 : 16 de Basse Pointe, création de la Sécurité Sociale
1964 : parution du 1er France-Antilles
1981 : 22 mai commémoration de l'abolition de l'esclavage
1982 : la Martinique devient région monodépartementale ; lois de décentralisation
1992 : « Texaco » P Chamoiseau obtient le prix Goncourt
2003 : Assemblée unique refusée
Avril 2008 : mort de Césaire

CHRONOLOGIE
1945 (mai) : Aimé Césaire élu maire de Fort-de-France
1945 (octobre) : Aimé Césaire élu député de la Martinique à la première Constituante avec L. Bissol.
1946 (19 mars) : Loi érigeant en départements la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion et la Guyane. La loi a été adoptée à l'unanimité sur le rapport d'Aimé Césaire, le plus jeune des députés d'outre-mer.
1947 : 1er préfet de la Martinique : Pierre Trouillé. Après son installation et pour la 1ère fois depuis 1923, les forces de l'ordre faisaient feu sur les ouvriers en grève et en tuaient trois : André Jacques, Henri Jacques et Mathurin Dalin et en blessaient deux autres grièvement sur l'habitation Lajus au Carbet.
1949 : Construction de l'aéroport du Lamentin. La piste, construite sur une zone marécageuse, n'a que 1700 m de long. Elle est tout juste suffisante pour les longs courriers.
1951 : Grève des fonctionnaires pour les 40% (50 jours)
1956 : Mars : grève de 60 jours en Martinique ; arrestation de 40 ouvriers agricoles, condamnés à 700 jours de prison - hausse des salaires et signature d'une convention collective.
1958 : Création du PPM
La « Lézarde », premier roman d' Édouard Glissant. Il obtient le prix Renaudot.
1959 : Forte tension socio-raciale : volonté du patronat, de briser les acquis de 1956.
1959 (20-21-22 décembre) : Émeutes à Fort de France. 3 morts, 50 blessés
1960 : Ordonnance du 15 Octobre qui permettait de rappeler d'office en Métropole sur proposition du préfet et sans autre formalité, tout fonctionnaire en service dans les DOM dont le comportement était de nature à troubler l'ordre public. Trois des principaux dirigeants du PC : Walter Guitteaud, inspecteur des PTT, Guy Dufond, professeur au lycée Schoelcher et Armand Nicolas, professeur également furent mutés d'office en France en août. Ayant refusé cette mutation, ils furent révoqués. Expulsion de fonctionnaires, d'enseignants dont Alain Plénel, Edouard Glissant, Marcel Béville et Marcel Manville.
1960 (avril): visite de De Gaulle à la Martinique - décret instituant la départementalisation "adaptée"
BUMIDOM
14 usines à sucre, 105 distilleries
1964 : Arrivée du premier vol Paris-Fort de France sans escale : Le Boeing «Château de Vincennes» d'Air France s'est posé 8 h30 après son départ. Le vol s'est effectué sans escale d'Orly au Lareinty. (mercredi 16 décembre)
Apparition de la télévision à la Martinique (21 décembre)
Naissance de « France-Antilles» créé par Robert Hersant en mars. Premier né de la presse « industrielle» en Martinique.
1971 : Mise en service de la raffinerie de pétrole à Californie. Raffinerie destinée essentiellement à alimenter les 2 départements des Antilles français. Gaz, essences et autres dérivés du pétrole brut sont produits désormais sur place.
Alfred Marie Jeanne est conseiller général de Rivière-Pilote.
1972 : Inauguration de la station terrienne de télécommunication qui permet à la Martinique d'être en relation avec le reste du monde.
1974 : La départementalisation économique
Grèves dans la banane
1974 (février) : massacre de Chalvet
1975 : La Martinique a les mêmes billets et les mêmes pièces que la Métropole
1977 : Ouverture du Campus Universitaire de Schoelcher
1979 : Pose de la première pierre de l'hôpital de La Meynard.
1981 : Le 22 mai est déclaré jour anniversaire de l'abolition de l'esclavage en Martinique
1982 (février-mars) : Loi relative aux libertés des communes, des départements et des régions (loi de décentralisation).
Aimé Césaire est élu président du Conseil Régional
1982 (02 décembre) : Décision du Conseil constitutionnel annulant la loi d'adaptation de la loi de décentralisation du 2 mars, fusionnant le conseil général et le conseil régional à la Guadeloupe, à la Martinique, à la Guyane et à la Réunion.
1982 ( 31 décembre) : Loi érigeant la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion en régions monodépartementales.
1985 : Mort de Marius Cultier (23 décembre). Célèbre pianiste martiniquais né à Fort de France en 1943, il a grandi dans le quartier des Terres Sainville.
1988 : Le Nègre et l'Amiral (R.Confiant)
1989 : Publication de l'Eloge de la créolité (Bernabé, Chamoiseau, Glissant)
1992 : Texaco (P.Chamoiseau) - Obtention du prix Goncourt
1993 : Aimé Césaire, élu depuis 1946 aux législatives, laisse la place à Camille Darsières
Mort de Paulo Rosine (1948-1993) musicien martiniquais, il fut membre de la formation « Malavoi».
Première émission d'ATV, première télévision privée de Martinique.
1996 ( 01 janvier) : Achèvement de l'alignement sur la métropole des prestations sociales et du montant du SMIC.
2003 ( décembre) : Référendum en Martinique sur la réforme institutionnelle proposant la création d'une collectivité territoriale unique à la place de la région monodépartementale et l'administration par une assemblée unique élue pour cinq ans : regroupant les compétences actuelles des deux collectivités existantes + des compétences nouvelles, en matière de politique du logement, d'urbanisme, de transports, de fiscalité, de politique culturelle et sportive et d'association à la négociation de traités dans l'espace caribéen. La réforme a été rejetée (Martinique : 50,48 % de « non » - Guadeloupe : 72,98 % de « non »).
2006 : une usine à sucre (restant en fonction grâce à des subventions) et 8 distilleries.
Consigne : Surligner de couleurs différentes ce qui est politique, économique, social, culturel.

EN BREF

Les personnages clés
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Aimé CÉSAIRE : 1913-2008
Poète et fondateur du mouvement littéraire de la Négritude.
1958 : fonde le PPM
1945-2001 : maire de Fort-de-France
1945-1993 : député de la Martinique
1983-1986 : président du Conseil Régional de la Martinique.
1945-1949 ; 1955-1970 : conseiller général de Fort-de-France.
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Léopold BISSOL : 1889-1982
1945-1958 : député communiste de la Martinique.
1945 : conseiller municipal de Fort-de-France puis de Rivière Pilote.
1955 : conseiller général du Vauclin
Considéré comme le fondateur du Parti Communiste Martiniquais.
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Edouard GLISSANT : 1928…écrivain, poète et essayiste antillais : au départ adhérant aux thèses de la Négritude, il élabore par la suite le concept d'antillanité et de créolisation.
De 1982 à 1988, il est Directeur du Courrier de l'Unesco.
En 1989, il dirige le Centre d'études françaises et francophones de l'Université d'Etat de Louisiane (LSU).
Depuis 1995, il est « Distinguished Professor of French » à la City University of New York

EXERCICES
1 - Trouvez la réponse exacte
1- La Martinique devient un département français en :
a- 1945 ?
b- 1946 ?
c- 1947 ?
2 – Aimé Césaire n'a pas été :
a- Maire ?
b- Sénateur ?
c- Député ?
3 – Le sigle PPM signifie :
a- Parti Populaire Martiniquais
b- Parti Progressiste Martiniquais
c- Parti Populiste de la Martinique
4 – 22 mai est déclaré jour anniversaire de l'abolition de l'esclavage :
a- En 1975 ?
b- En 1981 ?
c- En 1998 ?
5 – Combien de distilleries compte t-on aujourd'hui en Martinique :
a- 105 ?
b- 8 ?
c- 14 ?
6 – Le journal France-Antilles a été créé en 1964 :
a- Par Alain Plénel ?
b- Par Edouard Glissant ?
c- Par Robert Hersant ?
7 – Un référendum sur la réforme institutionnelle a été organisée en :
a- Décembre 1981 ?
b- Décembre 1989 ?
c- Décembre 2003 ?
2 - Quelle loi a pour objectif de transférer des compétences de l'Etat aux collectivités locales? Quand a-t-elle été votée?
Quelles en furent les conséquences pour les collectivités territoriales martiniquaises?
3 - Pourquoi a-t-on qualifié la Martinique de « centre de consommation » ?
4 - A l'aide de votre expérience et de vos observations (émissions de télévision/radio regardées/écoutées, loisirs, lectures, musiques préférées…), peut-on affirmer qu'il y a aujourd'hui, «uniformisation culturelle » chez les jeunes, en Martinique ?

Pour aller plus loin

Littérature :
La Lézarde. (1958) E. Glissant, Nouvelle édition, Paris, Gallimard, 1997.
Ormerod. E. Glissant, Paris, Gallimard, 2003.
Cahier d'un retour au pays natal. Bordas, 1947
Manuels :
Histoire de la Martinique de 1939 à 1971. Tome 3. L'harmattan. A. NICOLAS
Economies insulaires de la Caraïbe. Éditions caribéennes. 1980. J. CRUSOL
Encyclopédies :
Antilles d'hier et d'aujourd'hui. Vol 2. Édition E. DESORMEAUX. 1978
La grande encyclopédie de la Caraïbe. Vol 9. A. BUFFON. Édition Sonoli, 1990
Revue :
Antiane Eco INSEE : avril 1997 n°34
Film :
Les 16 de Basse Pointe : Camille MAUDUECH 2008

Auteurs : Maryse Verrecchia, Yves François, Berthe Brival

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