ÉCONOMIE
Nouvelles donnes régionales (2004-2006)
Pendant plus de 150 ans, le Bassin Caraïbe a été sans conteste "le lac américain", la zone où se sont forgés la puissance maritime des jeunes États-Unis et les prémisses des concepts de sa théorie militaire sur mer (voir article sur Alfred T. Mahan dans Émergences Caraïbes), où les premières expéditions à la fin du XIXe siècle lui ont permis de se mesurer aux anciennes puissances coloniales européennes. Jusqu'au début du XXIe siècle, cette hégémonie n'a guère été contestée, quand bien même la France ou la Grande-Bretagne ont conservé quelques "poussières" d'îles dans le secteur, quand bien même la langue et la culture hispaniques se sont maintenues, voire par un renversement de situation, ont reconquis du terrain sur le territoire même des États-Unis. L'Inde et la Chine introduisent du jeu là où on ne les attend pasParadoxalement, c'est à l'époque de l'hyper-puissance militaire américaine que du jeu apparaît dans sa mer presque domestique, et toujours paradoxalement, c'est le surgissement de l'Inde et de la Chine dans les échanges internationaux qui permettent, dans une certaine mesure à la région de trouver des marges d'autonomie par rapport à son omniprésent voisin. La demande des marchés chinois et indien en matières premières (cuivre, nickel, bauxite) et en hydrocarbures provoque une hausse des prix qui assure aux États caribéens des ressources substantielles. L'indice du prix du nickel qui était de 100 en 2000 est passé à 160 en 2004 et a continué d'augmenter en 2005 ; et Cuba qui est un des principaux producteurs a connu une croissance de + 8 % en 2006. La Chine envisage de créer, en partenariat avec des investisseurs locaux en Jamaïque une usine de traitement de la bauxite ; un projet de gazoduc liant Trinidad à la Guadeloupe, en passant par la Barbade, Sainte-Lucie, la Martinique, la Dominique, a vu le jour en 2005. Il associe aux investisseurs trinidadiens et canadiens à l'origine du montage des partenaires martiniquais. Tout ceci prouve un renforcement des relations intercaraïbes et de fait, une emprise moins prégnante du marché des États-Unis , l'omniprésence est entamée. Dans les "jeux de qui perd, gagne", les gouvernements peuvent s'affirmer voire s'opposer au puissant voisin. Cela se fait isolément ou de façon coordonnée, ainsi l'AEC est-elle plus fréquemment le lieu de ces affirmations. Ainsi la poussée vertigineuse du baril de pétrole, assure-t-elle au Venezuela une rente confortable (croissance de + 17,3 % en 2004 , augmentation des exportations de 50 %, balance commerciale excédentaire de 22 milliards de dollars) et autorise le président Chavez à pousser de la voix.
Le jeu des voix dans les organismes internationauxPar ailleurs, des enjeux moins visibles apparaissent qui favorisent des investissements. Les Japonais et Coréens ont bien compris que les petites îles comme la Dominique ou Saint-Vincent pouvaient les aider à contourner et/ou modifier les quotas de prise de cétacés par exemple. Dans ces petites entités qui peinent malgré tout, à assurer leur développement économique, les investissements à court terme priment sur ceux à long terme et la préservation de l'environnement comme des ressources marines ne sont pas encore une préoccupation première. Le changement de cadre des évolutions politiquesLe deuxième élément qui frappe, est l'évolution des régimes politiques de tout l'espace latino-américain. Partout, au cours des 20 dernières années, les formes de la démocratie libérale se sont renforcées. L'époque des nombreux régimes dictatoriaux, avec toute la palette, de l'autoritarisme teinté de mesures sociales aux dictatures les plus sanglantes, n'est plus. De l'Argentine au Chili dans les États de l'isthme et l'archipel, les libertés fondamentales individuelles se sont affirmées, sont de plus en plus assurées, à défaut de l'être tout le temps. L'alternance politique est devenue une réalité; le citoyen a surgi sur la scène politique. Le balancier porte du côté démocratique sur l'ensemble du bassin comme de l'Amérique latine, même si des batailles sont toujours nécessaires pour le respect des droits démocratiques, même si en quelques pays, Haïti, Cuba, Colombie, les situations sont incertaines. Ce changement de cadre politique revêt des aspects différents voire parfois non convergents. Il fait coexister progression des droits démocratiques, recul des régimes militaires, recul de la confiscation du pouvoir par de petites minorités créoles et possédantes, enrichissement par les matières premières, affirmation de positions internationales par le truchement du marché des matières premières, introduction des nouveaux acteurs internationaux dans les relations de la zone, accroissement des écarts de richesse à l'intérieur des pays, etc. À côté de ces aspects qui prennent pour modèle les démocraties de droit occidentales, les descendants des "peuples premiers" ainsi qu'ils se définissent, s'affirment et dans le même temps affirment d'autres modes d'existence. Dans la plupart des États on prend maintenant plus en compte les cultures (langues, traditions, modes de penser le monde) des populations amérindiennes. Du mouvement zapatiste qui véhicule toujours la théorie de la libération des années 1960-1980, et apparaît comme une butte-témoin d'un mouvement révolutionnaire plus romantique que réaliste, à l'accession au pouvoir de Evo Morales en Bolivie, qui a gagné les élections contre les élites créoles du pays et les puissants cabinets de communication nord-américains, en passant par le prix Nobel de la paix Rigoberta Menchu, et la toute récente réélection en octobre 2006 de Daniel Ortega au Nicaragua, les jeux ont changé. Jeux d'influence dans le bassinLe renchérissement des matières premières, au premier rang desquels l'énergie, vient nourrir les stratégies d'influences. Un axe se dessine de la Bolivie qui a découvert récemment d'importantes réserves d'hydrocarbures et de gaz, au Venezuela et qui se termine pour l'heure à Cuba. Le vieux leader cubain trouve de nouveaux et inattendus appuis qui consolident un régime archaïque qui est nécessairement à la veille de transitions. Le Venezuela a proposé aux petits pays de la Caraïbe du pétrole à un prix déconnecté du marché international et cherche par là à jouer un rôle de puissance régionale au-delà de son influence antérieure, Trinidad se voit ainsi contester ses positions. Le projet de gazoduc n'est sans doute pas étranger à cette compétition. Le grand Brésil, qui pèse d'un poids beaucoup plus important au niveau international, n'est pas dans le registre d'opposition tonitruante du Venezuela ou de Cuba et joue sa propre partition ; il se trouve incidemment au travers des poussées d'indépendance sur la maîtrise de l'énergie de la Bolivie. On mesure à travers cela que l'énergie est redevenue une question majeure, dans cette zone comme dans le reste du monde, et que les contradictions qu'elles suscitent sont loin d'être univoques ou sur un seul front. On les retrouvera durablement dans la Caraïbe. Si les Mexicains, malgré tout ce qu'ils peuvent ressentir, ont profité du système mis en place par l'ALENA et ont vu leur niveau de vie augmenter, les écarts de richesse qui se sont accentués créent de vives oppositions. L'échec à très peu de voix de l'ancien maire de Mexico "Andrès Manuel Lopez Obrador" qui conteste la suprématie écrasante du puissant voisin n'a pas apaisé les tensions dans la société mexicaine ; l'État de Oaxaca est toujours en rébellion, les forces militaires et policières du gouvernement fédéral n'arrivant pas à rétablir le calme. Malgré ou à cause de l'hyper-puissance américaine, un profond sentiment anti nord-américain se développe et ose s'afficher jusque dans les instances internationales. Lors du sommet des continents américains à Rio de Plata, fin décembre 2005, le président Georges W. Bush a été clairement contesté et le projet d'une zone de libre-échange de l'Alaska à la Terre de Feu a été repoussé sine die. Ce qui n'est pas la marque d'un franc succès, le paradoxe est d'importance. Ces prises de positions, ces situations laissent entrevoir l'émergence de nouvelles donnes dans l'ensemble du bassin. Cela passera peut-être par l'apparition de réelles puissances régionales. C'est indéniablement cette carte que le Venezuela cherche à jouer dans le Bassin. Pour le moment il semble encore fragile et bien seul, les rapports internationaux pourraient lui fournir les atouts qui lui manquent et faire apparaître de nouveaux acteurs. La nouvelle donne dans le Bassin est bien à la multiplication du nombre d'acteurs. Haut |
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