POPULATION
Niveau de développement et situation démographique 2022-2023
Le niveau de développement des pays est un enjeu majeur car il conditionne l’accès aux soins, l’accès à l’autosuffisance alimentaire, l’accès aux outils et technologies nécessaires à une vie dans de bonnes conditions et en bonne santé. A l’échelle de la Caraïbe, il existe de grandes disparités qui sont souvent le fruit d’une histoire économique ancienne, d’accidents, de crises graves tant politiques que liées aux aléas naturels. Fortement exposée aux risques, sismiques, volcaniques et plus encore cycloniques, certains États de la Grande Caraïbe cumulent les facteurs de risques et se voient ainsi fortement impactés dans leurs capacités à surpasser ces crises, se relever à chaque nouvel accident majeur. Haïti illustre cet état de fait, où instabilités politiques et crises se mêlent aux aléas naturels et handicapent lourdement le pays dans ses tentatives de stabilisation et de reconstruction. Le poids de l’environnement est souvent déterminant, la géographie même des entités présentes est parfois aussi contraignante, entre grands territoires peu peuplé et espaces disponibles en quantité pour le développement d’activités économiques et agricoles, et espaces insulaires contraints, restreints et très fragiles, tous les spectres du niveau de développement se retrouvent dans la Caraïbe. S’y côtoient des pays riches, des paradis offshores, des états en crise politique ou économique, des territoires vides et délaissés ou inhospitaliers, des îles paradisiaques artificielles et d’autres sous perfusion des anciennes métropoles, des îles isolées, d’autres sur-occupées, des populations qui circulent peut-être plus qu’ailleurs dans le monde, des échanges intenses, des formes d’hybridation et des isolats. C’est dans cet ensemble complexe que des populations naissent, vivent, vieillissent et meurent, dans cet ensemble qu’elles cherchent à améliorer leur quotidien, quitte à recourir à des formes d’économies informelles et parfois illicites. Depuis plus de 20 ans, nous suivons l’évolution démographique et le niveau de développement de ces territoires dans leur grande diversité. Si les situations ne sont pas encore toutes satisfaisantes au regard des attendus de développement, il est certain que de réels progrès ont été faits. Tous les indicateurs qui permettent de mesurer ce niveau de développement et l’évolution démographique des populations sont en croissance et démontrent une amélioration de la vie dans cette zone du globe. 1. Un niveau de développement qui progresse, même chez les plus fragilesL’IDH moyen mondial est fixé à 0,732 en 2021, date des dernières données disponibles et harmonisées par le PNUD pour l’année 2023. Parmi les 25 pays de la zone Caraïbe pour lesquels les données sont disponibles, 11 ont un IDH inférieur à l’IDH mondial moyen. Parmi ces pays, on retrouve les états les plus « fragiles » de l’isthme, ceux dont la transition démographique n’est pas totalement achevée, tels que le Belize, le Honduras, le Nicaragua, le Salvador et le Guatemala et ceux aussi qui ont connu de graves crises. On observe également que deux des trois Guyanes, le Suriname et le Guyana présentent également des IDH inférieurs à la moyenne mondiale. Dans ces dernières, depuis de nombreuses années, les dégradations des conditions de vie, l’insécurité, la croissance de l’économie informelle et les crises politiques concourent à une dégradation du niveau de développement. Enfin, seules quatre îles des Antilles, Sainte-Lucie, la Dominique, la Jamaïque et Haïti sont en dessous de la moyenne. Pour Haïti, la situation reste inchangée, l’île en proie à de graves crises et insuffisances dans tous les domaines, économique, politique et sanitaire, et soumise régulièrement aux aléas climatiques ne parvient plus à relever la tête. Plus généralement, on pourrait penser que la dégradation du niveau de développement humain est principalement due à des retards sanitaires ou en matière d’éducation, mais en réalité la situation est souvent plus complexe qu’il n’y paraît. Très souvent, il s’agit d’un cumul de facteurs négatifs, de contextes défavorables et d’instabilités politiques. Hors de ces dysfonctionnements, la Caraïbe reste à l’identique, c’est-à-dire une mosaïque de situations démographiques et économiques ou parfois, les disparités se sont accentuées. Pour rappel, l’IDH est un indice composite basé sur le croisement de différentes données qui apportent un éclairage sur les conditions de vie à l’intérieur d’un pays. Trois dimensions du développement humain sont prises en considération : le fait de vivre longtemps et en bonne santé, le niveau de connaissances de la population en relation avec le niveau d’éducation et un niveau de vie décent. Pour parvenir à qualifier ces trois dimensions, des indicateurs statistiques sont associés : l’état sanitaire et la longévité se mesurent par le biais de l’espérance de vie à la naissance, la connaissance se mesure via le nombre d’années de scolarité moyen des enfants en âge d’être scolarisés et le niveau de vie est mesuré grâce au revenu national brut ou RNB par habitant en dollars US. Ces différents indicateurs entrent dans le calcul de l’IDH. Cependant depuis plusieurs années, il apparaît que ce seul indice ne suffit plus à dresser le portrait de la situation des différents pays du monde à un instant donné. Les disparités restent fortes mais sont souvent masqués par de bons résultats dans l’un ou l’autre des indicateurs rentrant dans la composition de l’IDH. En réalité, nombre de pays du monde présentent des conditions de développement très inégales, les revenus tirés des richesses nationales ne sont pas identiques, les conditions d’accès à la santé, à l’éducation, au travail, à la culture sont également très diverses et inégalitaires, il faut donc introduire de nouveaux indices permettant de mettre en lumière ces inégalités. L’indice de développement humain s’est donc complété dans un premier temps d’un indice de pauvreté ou IDP, lequel est principalement défini pour les pays en développement, car au sein de ce groupe, les disparités sont très importantes et l’IDH ne permet pas de distinguer les écarts entre ces pays. A cet indice s’est ajouté depuis quelques années, un nouvel indice basé sur l’IDH mais prenant en compte les inégalités, l’IDHI ou indice de développement ajusté aux inégalités. Il s’agit, pour les pays présentant des faiblesses, de diminuer l’indice de développement compte tenu des inégalités observées dans les trois dimensions fondamentales du développement humain. Ce nouvel indice permet de redimensionner l’IDH en insistant sur les inégalités réelles souvent masquées à l’échelle d’une population considérée dans son entièreté. Mais pour approcher la réalité des États de la Caraïbe dans leur diversité, il est également nécessaire de considérer des indicateurs socio-démographiques de base. Ces derniers peuvent permettre d’expliquer des résultats a priori identiques entre pays, mais en réalité très différents dans les causes. Enfin, concernant l’IDH en 2023, il convient de revenir sur les années précédentes. Le rapport du PNUD insiste sur cet aspect en rappelant l’impact de la pandémie sur le niveau de développement des pays, notamment les plus faibles. Les conséquences de la pandémie de COVID-19 ont été ressentis sanitairement et économiquement par tous les pays du monde dans l’année qui a suivi la pandémie, et pour les plus faibles dans les deux ans après la pandémie. A cela s’ajoute pour l’ensemble de la population mondiale, un sentiment de vulnérabilité face aux incertitudes environnementales et aux risques qui en découlent, face aux changements des équilibres politiques avec une remise en cause des polarisations existantes, d’un monde bipolaire, et face aux glissements des sociétés industrielles vers des sociétés du numérique. Ces changements sociétaux majeurs causes de mal-être, de fragilités et d’incertitudes favorisent les inégalités mais ne doivent cependant pas faire oublier les progrès réalisés en quelques décennies en matière de développement humain. Sur ces dix dernières années, entre 2012 et 2022, les IDH des pays de l’Amérique Latine et de la Caraïbe ont généralement tendus vers une progression ; tous les pays à quelques exceptions près sur lesquelles nous nous attarderons, ont vu leurs IDH progresser, ce qui témoigne d’une amélioration des conditions de vie dans cette zone du monde. Si les risques naturels très présents constituent un facteur fragilisant des sociétés locales, globalement, les situations se sont améliorées. Pour quelques pays toutefois, les résultats sont mauvais. C’est le cas du Venezuela dont l’IDH a perdu plus de 10 points entre 2012 et 2022 ; la grave crise économique et sociale que connaît le pays depuis le décès de Chavez explique cette chute. Le Belize, Sainte-Lucie et la Dominique ont également enregistré une régression de leur IDH sur la même période. Pour Sainte-Lucie et la Dominique, on ne peut que s’interroger sur l’impact des narcotrafics et les effets collatéraux qu’ils génèrent (déscolarisation, mortalité en hausse, dégradation sanitaire). Enfin, si les résultats pour la période 2012-2022 sont tout justes positifs dans certains pays de l’isthme, Honduras, Nicaragua, Guatemala, voire négatifs comme cela est le cas du Belize, sur la période 2018-2022, ils apparaissent nettement plus mauvais et on ne peut que rapprocher cette dégradation de la montée de la violence dans ces pays, notamment sous l’effet de l’expansion des cartels et des gangs. L’IDHI vient confirmer cet état. En 2022, sur les 25 États pour lesquels nous disposons de données, seuls six d’entre-eux ont un IDHI supérieur à l’indice de développement Humain rapporté aux inégalités mondial, soit 0,59. (Barbade, Costa Rica, Mexique, Panama, République dominicaine et Guatemala). Pour les autres pays de la zone, l’IDHI est inférieur, voire très en deçà de la moyenne mondiale, comme pour le Honduras, le Nicaragua ou sans surprise, Haïti. En considérant l’indice de pauvreté, les résultats sont une nouvelle fois identiques, mais le Guatemala rejoint le groupe des pays ou la pauvreté est la plus importante avec le Honduras, le Nicaragua et Haïti. L’indice de pauvreté moyen des pays en développement se situe autour de 0,105 ; au Guatemala, il atteint 0,134 et à Haïti, il culmine à 0,200, alors que la moyenne pour la zone Amérique Latine et Caraïbe ne dépasse pas 0,03.
On le voit les disparités sont particulièrement marquées, notamment avec les pays de l’isthme, ces mêmes pays qui ont vu depuis ces dernières années fuir des centaines de personnes devant la violence des cartels et des gangs. 2. La Grande Caraïbe, entre grands espaces et pression littoraleLa Grande Caraïbe compte en 2022, 304,92 millions d’habitants, très inégalement répartis entre pays de l’isthme, plateau des Guyanes et Petites et Grandes Antilles. Le Mexique reste le pays le plus peuplé de la zone avec plus de 127,5 millions d’habitants, puis vient la Colombie avec deux fois moins d’habitants (51,9 millions), et en troisième position, le Venezuela avec 28,3 millions d’habitants. Le reste des pays de la zone ne dépasse pas les 18 millions d’habitants et pour les îles, la population est plus proche des centaines de milles. L’État le moins peuplé pour lequel nous disposons de données est l’archipel de Saint-Kitts-et-Nevis avec une population de 50 000 habitants. Ces chiffres masquent une autre réalité, celle des densités d’occupation des territoires caribéens. Certes le Mexique est le pays le plus peuplé mais ses densités d’habitants sont faibles et largement dépassées par les fortes concentrations de populations que connaissent certaines îles des Petites Antilles comme Barbade qui affiche des densités de plus de 650 habitants au km². Les îles des Petites Antilles sont de petites tailles et l’espace y est par définition restreint, et d’autant plus contraint que ce sont toutes des îles volcaniques aux reliefs contraignants. Les fortes densités de population (supérieures à 100 habitants au km² ) masquent des effets de pression en matière d’urbanisation et plus généralement d’organisation des activités qui impactent directement les littoraux et les maigres espaces de plaines, lieux convoités pour le développement et l’installation des populations et des activités. Prenons l’exemple de la Martinique, la population et l’essentiel des activités se localisent principalement le long du littoral ou dans la plaine du Lamentin qui concentre aéroport, zones commerciales, zone portuaire, zones industrielles et services à la population. Cette pression en terme d’occupation des espaces insulaires se retrouve dans la quasi-totalité des îles de la zone, et plus encore dans les plus petites comme Aruba ou Curaçao dont les densités de population sont respectivement de 611 et 452 habs./km². A l’opposé de ces petites îles comme Saba, Saint-Martin, les ABC ou les Saintes par exemple, la région dispose de vastes espaces « vides » d’hommes et d’activités. C’est le cas des trois Guyanes, dont une grande partie du territoire est occupé par la forêt amazonienne. Les densités y sont faibles, autour de 4 habs./km², mais ce chiffre ne représente pas la réalité de l’organisation spatiale, la population et les activités sont concentrées sur une bande littorale large de quelques kilomètres. Si les densités de population ne sont pas particulièrement éclairantes sur la réalité de l’occupation de l’espace caribéen particulièrement hétérogène, la population caribéenne présente des similarités dans sa composition et sa démographie. 3. Naissances à la baisse et exception guyanaiseLe taux de natalité permet de mesurer le nombre de naissances pour 1 000 habitants. Dans les pays de la zone caribéenne, ces taux sont aujourd’hui en deçà de la moyenne mondiale de 17 ‰. En moyenne, les pays de la zone affiche un taux de natalité de 14,5 ‰ mais les différences peuvent être particulièrement fortes entre pays, témoignant du stade de la transition démographique dans lequel se trouve les pays. Ainsi en Guyane française, au Honduras, au Nicaragua, au Guatemala, au Guyana et en Haïti, les taux de natalité sont les plus élevés de la zone. A l’inverse, à Cuba, à Aruba ou à Porto Rico, les taux sont les plus faibles. Les pays de l’isthme et plus généralement les Guyanes (Suriname, Guyana et Guyane française) se situent dans le haut du classement en matière de naissances. Pour le cas du plateau des Guyanes, on peut néanmoins s’interroger sur le rôle des migrations dans le maintien de taux de natalité élevés mais également sur la précocité des maternités pour les jeunes femmes de la région. En 2019, les naissances en Guyane Fr. ont atteint 8 100 nouveaux-nés. L’indice conjoncturel de fécondité est élevé avec près de 3,63 enfants par femme en 2019, bien supérieur à celui de la Guadeloupe (2,10), de la Martinique (1,95) ou de la France (1,84). Combiné à un nombre important de femmes en âge de procréer, il en résulte un fort taux de natalité. Celui-ci s’établit à 27,3 ‰ et malgré une légère baisse, il reste l’un des plus élevés des régions françaises, devancé seulement par celui de Mayotte (36,4 ‰). Hormis la Guyane, l’indice de fécondité est également très élevé au Guatemala, au Guyana et en Haïti avec plus de 2,4 enfants par femme en âge de procréer. Par contre dans la plus grande majorité des autres États de la zone, l’indice de fécondité est en deçà du seuil de renouvellement des générations fixé à 2,1 enfants par femme. La moyenne pour la zone Caraïbe s’établit à 1,9 enfants par femme. Les autres pays de la zone, et plus particulièrement les Petites Antilles ont des taux de natalité inférieurs à la moyenne régionale et des indices de fécondité également bas. Doit-on y voir là une conséquence du départ des jeunes et donc d’une baisse de la fécondité ? 4. Une mortalité infantile en baisse dans toute la CaraïbeLa mortalité infantile est un indicateur discriminant qui peut-être plus que tout autre témoigne du niveau de développement d’un pays. Cet indicateur entre directement en résonance avec l’état sanitaire et le niveau de soins du pays considéré. Il n’est pas nécessairement lié à un taux de natalité élevé, ainsi la Guyane française qui affiche l’un des taux de natalité les plus élevé de la région est aussi l’un des pays ou le taux de mortalité infantile est le plus faible, témoignant ainsi de la qualité des soins et de la bonne prise en charge de la maternité. Le contre exemple est sans conteste celui d’Haïti. Le taux de mortalité infantile est le plus élevé de la zone, sur 1000 naissances, 43 décès en bas âge sont enregistrés. L’extrême pauvreté du pays et les conditions sanitaires déplorables expliquent ce mauvais résultat. La relation taux de natalité élevé et taux de mortalité infantile élevé se retrouve également dans des pays où la transition démographique n’est pas achevée et où il est nécessaire de mettre au monde un nombre important d’enfants car les décès en bas-âge sont élevés, la qualité des soins en néonatologie étant insuffisante. C’est le cas au Guatemala ou le taux de mortalité infantile atteint 20 ‰ ou bien encore au Guyana dont le taux de mortalité infantile atteint 24 ‰. Il reste donc encore des progrès à réaliser, notamment dans les soins portés à la mère et à l’enfant, mais cela ne signifie pas pour autant que d’énormes progrès n’ont pas d’ores et déjà eu lieu. En 2012, la mortalité infantile en Haïti atteignait 61 ‰, au Guatemala, 30 ‰ et 38 ‰ au Guyana ! Les progrès sont indéniables et pour certains, ils sont très conséquents, comme à Trinidad-et-Tobago où le taux de mortalité infantile atteignait 29 ‰, il est de 15 ‰ aujourd’hui, et dans la totalité des pays, il s’est fortement abaissé. Globalement tous les indicateurs se sont améliorés. Cependant il reste un indicateur démographique pour lequel les résultats se sont au contraire détériorés, il s’agit du taux de mortalité. Ce taux est fortement dépendant des conditions sanitaires, du contexte politique et de la sécurité des États, il est également soumis à une évolution récente dans la zone, le vieillissement de la population. Ainsi dans des pays comme Cuba, Aruba, Saint-Vincent-et-Les-Grenadines ou les Îles Vierges, les taux de mortalité ont progressé. Ils ne témoignent pas d’une dégradation de la situation sanitaire de ces pays mais bel et bien d’un vieillissement de la population, suite inéluctable d’une transition démographique achevée, de migrations ralenties par des contextes politiques défavorables et de départ des jeunes générations à la recherche d’un mieux vivre. La Caraïbe vieillie, c’est un constat aujourd’hui. Le rapport entre les classes d’âges les plus jeunes (moins de 15 ans) et les plus âgées (plus de 65 ans) inverse le processus démographique de croissance de la population. Calqué sur le modèle européen, les naissances sont en berne, l’allongement de la durée de vie progresse mais les naissances ne permettent plus de compenser les décès des plus âgés, eux-mêmes issus de classes d’âges nombreuses nées après-guerre. Le baby boom laisse place lentement au papy-boom dans cette région du monde jusque là épargnée. 5. Vieillissement, un problème uniquement insulaire ?Au regard des dernières statistiques disponibles, il semble bien que le vieillissement touche avant tout les espaces insulaires de la Caraïbe, dont la Martinique, la Guadeloupe ou Porto Rico. C’est dans ce dernier État que l’écart est le plus important, les plus de 65 ans représentent 23 % de la population totale, alors que les moins de 15 ans ne sont que 13 %. En Martinique, le rapport 65 ans / 15 ans est de 23 % contre 16 % et en Guadeloupe de 20 % contre 18 %. En tant que région ultramarine française, la Martinique sera la région française la plus vieillie en 2030. On le voit, le processus est bien entamé. Il est accentué par différents facteurs : on pense aux départs des jeunes, mais ce n’est pas le seul facteur qui participe à ce vieillissement. L’arrivée de migrants retraités âgés est un autre facteur amplifiant le rapport jeunes / seniors. La natalité se calque sur le modèle métropolitain, renforçant un peu plus le vieillissement de la population. Cette évolution n’est pas triviale, elle doit amener à s’interroger sur le grand âge et la gestion de la dépendance dans des territoires où les structures d’accueil sont rares. En Martinique, le nombre de lits est d’environ 1 600 places aujourd’hui pour une population dépendante qui devrait atteindre plus de 6 000 personnes en 2040. Voyons plus loin encore, lorsque des pays de la zone fortement peuplés, comme le Mexique, le Venezuela, la Colombie entreront dans leur phase de vieillissement de la population, que la gestion de la dépendance ne se comptera plus en milliers de personnes, mais en centaines de milliers, quelles seront les attitudes des pouvoirs publics ? Au delà du phénomène de vieillissement, c’est l’ensemble de la société caribéenne qui sera impacté dans ses activités et son dynamisme économique, à moins que cette partie du monde ne devienne la base de loisirs et de tourisme de populations vieillissantes aisées, voire ultra-riches... 6. Des riches plus riches, ...et des pauvres, plus pauvres ?Car c’est bien la question des revenus qui est déterminante dans la gestion de la dépendance. L’IDH est un indicateur qui tient compte de ce degré de richesse. On l’observe depuis de nombreuses années maintenant, les revenus par habitants dans la Caraïbe sont très hétérogènes car s’y côtoient des paradis fiscaux et des places financières importantes, des États sous perfusion de leurs métropoles, des pays pauvres et endettés, des pays dont les ressources naturelles sont une manne financière, le tout sur fond d’économie informelle omniprésente. Les revenus par habitants les plus élevés de la zone sont pour les États comme les Bahamas, Saint-Kitts-et-Nevis, Panama, des pays dont les avantages et services financiers offshores sont prisés et qui attirent des hauts revenus. Le RNB par habitants y atteint plus de 29 000 US$. Suivent des pays aux revenus tout aussi confortables comme Antigua-et-Barbuda, Trinidad-et-Tobago ou le Mexique et le Guyana. Pour ces trois derniers, c’est sans conteste, les bénéfices issus de l’exploitation de leurs ressources naturelles, pétrole, gaz, métaux et minéraux qui permettent de dégager un revenu moyen par habitant largement supérieurs aux autres États de la zone (plus de 20 000 US$). Aux antipodes de ces résultats, Haïti, pays le plus pauvre de la Caraïbe affiche un revenu moyen par habitant dix fois moins important que celui des Bahamas, avec seulement 3 157 US$ par habitant. Cette disparité de revenus ne s’est pas estompée au fil du temps, année après année, l’écart semble se creuser un peu plus entre les plus pauvres et les plus riches. Cependant, il faut nuancer ces résultats par une donnée qui n’est pas prise en compte dans le calcul des revenus par habitants, les revenus issus de l’économie informelle. Qu’il s’agisse des revenus tirés des trafics de drogues ou d’armes, la Caraïbe pratique une économie informelle qui permet à nombre de ses habitants de tirer quelques revenus supplémentaires mais non recensés par les autorités. Comme le souligne Alain Musset pour le cas du Mexique «...pour compenser la faiblesse des salaires, le sous-emploi et le chômage, les activités dites « informelles » se sont développées au point qu’on ne peut plus les qualifier de « marginales ». Or, dans un pays où l’économie souterraine, selon les auteurs, peut représenter un tiers du PIB, la frontière entre l’informel et l’illégal, pour ne pas dire le criminel, est souvent difficile à préciser... »1. Cette part de l’économie informelle ou « souterraine » est difficile à quantifier, on estime qu’elle peut en effet représenter plus du quart de la richesse produite dans la zone. Elle n’est pas nécessairement liée aux trafics illicites, elle est aussi le fruit d’habitudes, de pratiques établies dans les sociétés locales depuis des décennies.
Carte n°2 : Indicateurs démographiques et IDH 2022-2023
Auteur : Frédérique Turbout, MRSH, Université de Caen Normandie, 2024.
Si l’IDH reste un indicateur composite relativement illustratif d’une situation de développement plus ou moins avancée entre États et permet des comparaisons, il est indispensable d’y associer des indicateurs démographiques qui fournissent une tendance d’évolution, viennent expliquer des résultats qui, prit indépendamment les uns des autres, peuvent apparaître dégradés. Il faut également le compléter d’indicateurs supplémentaires permettant d’affiner la lecture du mal développement, amener des nuances dans le degré de pauvreté pour mieux comprendre les éventuels blocages, les efforts qu’ils restent à produire et les enjeux pour demain. Dans la Grande Caraïbe, ce patchwork de situations socio-économiques, il est parfois difficile de hiérarchiser les pays, de tenter un classement, même à gros grains, tant les situations sont hétérogènes. Pourtant, en couplant les indicateurs précédemment cités, il apparaît clairement que la situation s’est améliorée, et cela quel que soit le pays. Il est tout aussi évident que l’évolution de la population se traduit par des phases terminales, voire achevées, de transitions démographiques et une lente descente vers un vieillissement inéluctable de la population. L’enjeu de demain pour ces États est peut-être là, gérer le vieillissement tout en se servant de ce dernier pour proposer une économie du loisir, du temps libre adaptée à des générations vieillissantes certes, mais économiquement intéressantes et pour lesquelles la dépendance recule un peu plus chaque année. La « Silver économie » pourrait être une manne pour certains de ces pays de la Caraïbe et notamment pour les petites îles de la zone. Sources des données :PNUD, rapport 2023. INED « Tous les pays du monde », 2022. 1 MUSSET Alain, « Chapitre IV. D’autres circuits économiques », dans : Alain Musset éd., Le Mexique. Paris cedex 14, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2017, p. 71-84. URL : https://www.cairn.info/le-mexique--9782130799719-page-71.htm Haut |
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