MOBILITÉS ET MIGRATIONS
 
Les migrations intra-caribéennes (2020)
Mécanismes et conséquences

Les flux migratoires dans la région sont encore et toujours d’actualité. En 2018, les médias se sont fait l’écho d’une importante recrudescence du nombre de migrants sur les routes de l’isthme et dans le nord de l’Amérique du Sud ainsi que dans les ports de l’Archipel. L’année 2019 a semblé plus calme sur le front des flux même si beaucoup de tensions internes dans les entités de la Caraïbe ont été réactivées. Par ailleurs, la politique du Président des États-Unis contribue à renforcer l’impression d’une déferlante migratoire. Il n’est pas question de nier le phénomène, mais il n’y a pas non plus d’invasion vers le nord du continent. 

1. Aux racines de la migration intra - caribéenne 

Migrer est le plus souvent un arrachement à un environnement dur, mais dans lequel les solidarités familiales et villageoises ou de quartiers rendent le quotidien tenable. Trois éléments essentiels, nous semble-t-il, concourent à déclencher les flux migratoires : la pauvreté, la violence quotidienne et l’inefficacité des États à assurer l’organisation de la vie en commun. Ces trois phénomènes sont liés l’un à l’autre, ont des répercussions l’un sur l’autre, sont en synergie. Ils constituent des systèmes qu’il est difficile de démonter ; on pourrait les comparer à une pelote de laine de trois couleurs, l’un n’étant pas plus important que les deux autres. Ils interagissent, quand bien même les populations n’en n’ont pas conscience. Pour les besoins de l’étude nous allons les analyser séparément, mais il faut garder présent à l’esprit qu’ils constituent un tout. Vouloir résoudre le problème de la migration (si tant est que cela soit possible) c’est agir sur les trois aspects qui scandent la vie des habitants de la région.

Il reste des aléas plus ponctuels, plus erratiques, qui peuvent dans un temps limité alimenter les flux migratoires, les aléas climatiques et les risques naturels qui secouent régulièrement la zone caraïbe, particulièrement exposée, sont de cela : ce sont les séismes qui détruisent une grande partie de certaines zones (comme celui particulièrement violent car de faible profondeur-moins de 10 km de ce début d’année 2020 dans le sud-est de Porto Rico, hors de la zone de subduction) , les cyclones qui dévastent les entités insulaires surtout et provoquent après leur passage des déplacements depopulations  

1.1. Le mal développement 

Analyser les statistiques des États de la Région revient à se heurter à des incompréhensions. Dans toutes les entités ou presque toutes, les PIB et les PIB en PPA ont augmenté de façon importante, les pays se seraient donc enrichis. Mais si on place en parallèle le pourcentage des populations vivant sous le seuil de pauvreté dans chaque État, celui-ci atteint parfois des paroxysmes qui interrogent. Selon les sources, les chiffres varient et il est extrêmement difficile d’avoir une vision claire de la situation. Par exemple, pour le Venezuela, les taux fournis par l’ONU et la Banque mondiale varient entre 33 % et 19,7 % ou bien encore 66 % de personnes vivant sous le seuil de pauvreté pour le même pays. 

Quelle serait donc la réalité ?

Ces chiffres contrastés apparaissent pour plusieurs cas dans l’espace de la zone y compris pour des îles pour lesquelles les statistiques sont plutôt fiables, avec une administration efficiente comme c'est le cas en Martinique où sont donnés des taux de pauvreté allant de 21 à 32 % et 30,5 % en 2016 selon l’INSEE, la Préfecture ou l’ONU.

Une chose est certaine, il est bien difficile d’apprécier la pauvreté. On peut constater des habitats rudimentaires, un développement du secteur informel, mais qu’est-ce qui relève de la sous - alimentation ou de la sous - nutrition. Les associations humanitaires peuvent être des indicateurs, mais seulement des indicateurs. Par ailleurs presque partout sauf en Haïti, l’espérance de vie a augmenté ces 20 dernières années. Comment alors, se manifeste la pauvreté et comment provoque-t-elle le départ pour d’autres horizons ? Et enfin est-ce que ce sont les couches des sociétés les plus pauvres qui migrent ? Reste aussi la question de savoir quelle est la part des urbains et celle des ruraux dans ces flux ; Il est difficile d’apprécier ces catégories car les demandent d’asile ne précisent guère l’origine géographique, et les administrations locales ne sont pas vraiment développées pour établir cette catégorisation.

Un premier éclairage sur les origines des flux migratoires est le constat d’une augmentation des inégalités, à la fois à l’intérieur de chaque entité mais aussi entre les différents pays et ceci dans toute la Caraïbe. Celle-ci n’échappe pas à ce que l’on peut observer sur l’ensemble de la planète. À titre d’exemple, le Mexique affiche quelques très grandes fortunes (un individu se trouve même dans le « top » 10 des plus grandes fortunes mondiales) mais a un taux de pauvreté de 44 %.  

Mis à part ces éléments, on sait que, au Venezuela se sont développés depuis les années 1980 des « ghettos » de populations aisées, voire très riches, sur les hauteurs à l’Est de Caracas. Ces espaces sont gardés par des vigiles armés qui ne laissent entrer l’étranger au quartier que sur ordre de résident. On peut vivre dans ce monde sans en sortir : écoles lycées, centres commerciaux, de loisirs avec piscines bien sûr, centre équestre, stades, salles de sports … On rencontre ce type d'organisation spatiale de l'habitat au Panama mais aussi en République Dominicaine avec les hôtels de Punta Cana, ceux de la presqu'île de Samana au Nord Est du pays, les quartiers résidentiels privés de Santo Domingo contrôlés par des vigiles armés. Les résidents sont à l’abri de tout contact avec les autochtones mis à part « les gens de service ».

À l’inverse, dans les capitales comme dans les villes de province, les quartiers dégradés se sont multipliés : barrios de Caracas, de Bogota, de San Salvador. Ce phénomène se répète dans les agglomérations moyennes de la région et dans lesquelles aussi, les cœurs de villes se délabrent, comme c’est le cas à Ponce (Porto Rico), vidé de la plupart de ses habitants ; s’ajoute aussi le fait que dans les grandes métropoles comme Mexico les couches les plus pauvres sont rejetées toujours plus loin du centre ce qui rend les aires urbaines difficiles à vivre au quotidien et à contrôler dans leur expansion, leur aménagement. C’est donc parmi, les couches basses fragilisées des populations, pas nécessairement très pauvres, que se conceptualise le départ, qu’il s’organise en faisant appel à des solidarités pour trouver les sommes réclamées par les réseaux de passeurs, montants colossaux pour les candidats à la migration, de l’ordre de 3000 à 4 000 dollars par personne.

À ces motivations profondes et anciennes s’ajoutent, les représentations véhiculées par la télévision dans les séries de télénovelas : belles maisons, jardins dessinés au cordeau, voitures de luxe et donc le –« pourquoi pas moi, je pourrai réussir » – qui concrétisera la volonté de partir. Il faut y ajouter encore les mythes véhiculés par les migrants installés aux États-Unis ou au Canada, voire dans les entités limitrophes qui portent à croire que l’on peut se débrouiller dans ces eldorados. Les familles ne s’opposent pas beaucoup à ces désirs de migration car les sommes envoyées (les remesas) par les immigrés sont conséquentes. 

Tableau n°1 : Remesas - entrées de devises, de fonds en provenance des migrants vers le pays d'origine (millions de $US).
Pays 2017 2018 (estimations)

Part des fonds reversés par les migrants

par rapport au PIB national (%)

Antigua et Barbuda 29 31 1,9
Aruba 14 15 nc
Bahamas nd nd nd
Barbade 108 115 2,2
Belize 90 95 5,0
Îles Caïmans nc nc nc
Colombie 5 525 6 393 1,9
Costa Rica 564 589 1,0
Cuba nd nd nd
Curaçao 160 175 nc
Dominique 57 60 12,6
République Dominicaine 6 178 6 820 8,5
El Salvador 5 054 5 509 18,7
Grenade 1 1 0,1
Guatemala 8 453 9 510 11,5
Guyana 265 281 7,5
Haïti 2 359 2 496 26,5
Honduras 4 323 4 699 19,6
Jamaïque 2 455 2 595 17,0
Mexique 30 618 33 675 2,8
Nicaragua 1 395 1 501 10,3
Panama 533 561 0,8
Porto Rico nd nd nd
Sint Maarten 55 60 nc
Saint-Kitts-et-Nevis 10 11 1,1
Sainte-Lucie 32 32 1,8
Saint-Vincent-et-Les-Grenadines 42 42 5,0
Suriname 7 7 0,2
Trinidad-et-Tobago 135 142 0,6
Turks-et-Caïcos nd nd nd
Venezuela 279 297 0,29
Îles Vierges américaines nd nd nd
nc : non comminiqué
nd : non disponible
Source : Banque mondiale, division migration 2019, FMI, déc. 2018. 
Carte n°2 : Le poids des remesas dans les économies caribéennes en 2018

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Source : Banque mondiale, 2018.

1.2. La violence

L’instabilité politique, le renforcement des polices, des armées forment un nœud gordien avec la violence et les réseaux de drogue qui traversent, alimentent la Région dans son ensemble. 

Schéma n°1 : Impact des gangs sur les territoires, les populations et les États

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Auteur : Monique Bégot, 2020. 

 

À la suite des guerres civiles des années 1980 on pensait que des formes de stabilité politiques, sociales, que des axes de coopération allaient se développer dans toute la Caraïbe. Pendant vingt ans cet espoir s’est manifesté timidement, l’AEC a tenté de promouvoir développement économique, partenariats et coopération mais la dernière décennie a montré la vacuité de ces espérances. La violence a explosé dans l’isthme et quand bien même elle reste moindre dans l’archipel, elle grandit aussi dans les îles.

Le Salvador est ainsi catalogué comme un des champions de la criminalité ; il affiche un taux de 69,2 assassinats par an pour 100 000 habitants, mais c’est le Honduras qui tient le premier rang avec plus de 90 crimes pour 100 000 habitants soit 8 338 assassinats chaque année. Une comptabilité morbide fait donc état de 22 meurtres par jour. Cette extrême violence est générée par les « maras », gangs qui sévissent dans toutes les villes du pays se partageant les territoires qu’ils rackettent, pillent, les chauffeurs de bus ou taxis doivent ainsi, par exemple, verser une rente pour pouvoir travailler. Les membres des gangs se battent pour le contrôle d’une rue, d’un trottoir d’un quartier. Les plus tristement connues de ces maras sont la Malatrucha au Honduras, suivie par celle qui se nomme Barrio qui sévit à San Salvador.

Ce phénomène de violence atteint aussi le Mexique, en particulier les régions proches de la frontière. Ceci est connue grâce à des journalistes courageux qui enquêtent en particulier à Ciudad Juarez sur les nombreux meurtres de femmes mais aussi par des faits divers dont celui de cette jeune Française compagne d’un narcotrafiquant libérée sous la présidence de François Hollande, ou encore la disparition de 43 étudiants en 2014 dans la ville d’Iguala (État de Guerrero).   

Schéma n°2 : Le contrôle d'un territoire par un gang 

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Auteurs : M. Bégot, AREC, F. Turbout, MRSH Université de Caen Normandie, 2020. 

 

Les gangs sont étroitement liés aux narco-trafiquants dont ils sont les convoyeurs et les relais sur place dans toutes les agglomérations urbaines de la Caraïbe. La Colombie avec le Pérou reste la grande région productrice de coca, les mafieux colombiens ont été remplacés par les Mexicains mieux organisés, mieux structurés plus adaptés à une économie mondialisée et donc plus efficaces. Il y a donc un lien entre trafics de drogue et violence sans que l’on sache bien si c’est l’extension du marché de la drogue qui engendre la violence ou l’inverse. Mais avec un peu d’ironie on peut penser que « c’est comme vouloir savoir ce qui est premier de la poule ou de l’œuf ». Les routes de la drogue sont connues, même quand elles évoluent au fil du temps, du renforcement des contrôles. Bien que mouvantes et mobiles ces routes sont profondément inscrites dans les paysages de la zone. Les réseaux mafieux utilisent toutes les possibilités de transport offertes laissant au passage des quantités importantes de drogue sur les territoires traversés : routes terrestres qui se surimposent à la trajectoire des migrants dans l’isthme, routes maritimes longeant la côte Pacifique à l’Ouest, celles de l’Est de la zone, jouant de sauts de puce ou empruntant des navires à moteur puissants qui rallient deux points très éloignés dans la Caraïbe L’aérien est aussi un moyen de véhiculer la drogue. Les trajets varient mais les points de départ et d’arrivée sont identiques.

Tableau n°2 : Taux de criminalité pour 100 000 habitants
Pays

Taux de criminalité

pour 100 000 habitants

Année du dernier

taux disponible

Anguilla 27,7 2014
Antigua et Barbuda 10,3 2012
Aruba 1,9 2014
Bahamas 30,9 2017
Barbade 10,5 2017
Belize 37,9 2017
Bermudes 8,2 2017
Îles Caïmans 8,4 2014
Colombie 24,9 2017
Costa Rica 12,3 2017
Cuba 5 2016
Dominique 25,7 2017
République Dominicaine 11,3 2017
El Salvador 61,8 2017
Grenade 11,1 2017
Guadeloupe 5,1 2016
Guatemala 26,1 2017
Guyana 14,8 2017
Guyane française 13,2 2009
Haïti 9,5 2016
Honduras 41,7 2017
Jamaïque 57 2017
Martinique 2,8 2009
Mexique 24,8 2017
Nicaragua 7,4 2016
Panama 9,7 2017
Porto Rico 18,5 2017
Saint-Kitts-et-Nevis 34,2 2012
Sainte-Lucie 29,6 2017
Saint-Martin (partie française) 28,5 2016
Saint-Vincent-et-Les-Grenadines 36,5 2016
Suriname 5,5 2017
Trinidad-et-Tobago 30,9 2015
Turks-et-Caïcos 5,9 2014
Venezuela 56,3 2016

 

Source : Global Studies homicide, UNDOC, 2019.

 

Dans l’archipel jusqu’ici relativement préservé des trafics et du passage des convoyeurs amènent les autorités des différentes îles :

  • d’une part à accroître les échanges d’informations et de coopération
  • d’autre part à multiplier dans leur environnement les patrouilles et donc les saisies de drogue. En Martinique durant l’année 2019, on a comptabilisé une saisie tous les quinze jours. L'aspect plus grave de ce trafic c’est qu’il s’accompagne de prise d’armes lourdes comme des fusils Kalachnikov. Ceci explique peut-être le nombre d’homicides par arme à feu dans l’île soit 23 en 2019 liés à des règlements de compte. Ce qui avait été observé en Guyane il y a une vingtaine d’années, ce qui est le quotidien de la Jamaïque depuis un demi - siècle gagnent les autres îles. 

Différenciation des routes mais conséquences identiques :

les narcotrafiquants laissent dans chaque province de l’isthme, ou dans chaque île une quantité non négligeable de drogues à consommer. La drogue se répand, pas seulement « l’herbe » ou le cannabis mais aussi la cocaïne et ses dérivés Qui dit marché de substances illicites, dit sommes colossales en jeu avec lescorollaires qui accompagnent ces marchés : violence c’est-à-dire assassinats, corruption à tous les niveaux. 

1.3. La faiblesse des États 

À plusieurs reprises, on a déjà signalé la dichotomie entre les États Insulaires qui ont accédé beaucoup plus tardivement -150 ans après- à l’indépendance et les entités du continent et de l’Isthme. L’accession à la souveraineté a été acquise durant le premier quart du XIXème siècle. Est-ce ce phénomène qui explique que dans les territoires de l’Archipel les institutions de la démocratie parlementaire soient plus affirmées ?

Pendant tout le XIXème siècle et jusqu’au tournant du XXème, les militaires ont gouverné, presque sans discontinuer les États de l’Amérique centrale et du Nord du Continent Sud-américain. Les régimes politiques étaient soit autoritaires, soit même des dictatures. Malgré ces parcours historiques différents dans toute la zone, les États restent fragiles et souvent peu efficaces ; ils ont beaucoup de mal à protéger leurs populations. Pour les micro-États, la faiblesse des finances publiques peut en partie expliquer cette situation, mais seulement en partie. Pour les entités continentales les choses sont plus complexes. Partout cependant :

Les sociétés sont très clivées

Les élites « blanches » d’origine espagnole ou issues du monde colonial sont plus ou moins au pouvoir. Elles détiennent les richesses économiques. Les descendants d’amérindiens, les métis ou les groupes issus de l’esclavage ont beaucoup de mal à accéder aux plus hautes fonctions politiques, administratives ou économiques. Et ce ne sont pas quelques exceptions qui disent l’intégration à la vie politique de l’ensemble des citoyens. La plupart de ces groupes vivent à l’écart dans des ghettos urbains ou dans des villages reculés. Le long combat de Rigoberta Manchu n’a guère changé les choses en profondeur quand bien même quelques améliorations ont été observées (reconnaissance des langues, inscriptions sur les listes électorales…).

Cependant, les systèmes politiques ont toutes les apparences de régimes démocratiques.

Dans les entités indépendantes de la Caraïbe existent des parlements, soit bicaméristes dans la plupart des îles, soit monocaméristes (ex Saint-Vincent, Saint Kitts – et - Nevis ), un exécutif avec des présidents élus au suffrage universel ou des premiers ministres dans le cas du Commonwealth eux aussi élus. Les mandats présidentiels sont souvent de cinq ans, non renouvelables, comme au Guatemala ou au Honduras, voire en Colombie. Ce système garantit a priori un exercice démocratique du pouvoir.

Sous les apparences se cachent des fonctionnements oligarchiques autoritaires qui ne tiennent pas compte des populations dans leur ensemble. Les élections sont très souvent contestées comme c’est le cas du Honduras en 2018 ou du Venezuela la même année ; mais dans ce pays l’opposition n’avait pas présenté de candidat et avait appelé à l’abstention. C’est bien la très faible mobilisation des électeurs qui caractérise les scrutins dans la Région : 50 % de votants au Salvador en 2019 et 40 % au Honduras. Le Mexique semble peu ou prou échapper à ces pratiques.

La fraude, sous ces multiples formes est omni-présente :

Fraude électorale, avec des élections truquées et donc contestées (Venezuela, ou Honduras) et corruption vont de pair. Le Honduras lors de l’année écoulée s’est illustré dans ces domaines. En octobre 2019, le frère du président est condamné par un tribunal nord-américain pour trafic de drogue et corruption et le président lui-même Hernandez est soupçonné d’avoir, comme son prédécesseur Lobo, reçu de l’argent des narcotrafiquants. Le Salvador voisin n’échappe à la règle : les trois présidents de 2004 à 2019 sont mis en examen pour blanchiment d’argent et corruption. Ainsi en 2017, une enquête révèle que le président élu en 2015, Jimmy Morales reçoit une prime de risque des armées qui augmente sa pension de 33 %. Ces avantages profitent aux familles des élus et à leur entourage, affaiblissant davantage la confiance des citoyens dans les systèmes politiques.

Cette corruption, ces fraudes irradient en système réticulaire pour atteindre l’ensemble des territoires jusqu’au niveau local (ex : un sous commissaire hondurien a été jugé en 2019 pour corruption) . Toutefois on ne sait pas grand chose des pratiques qui ont cours pour que les humbles habitants puissent obtenir un papier ou des renseignements. Sur leur titres de propriétés par exemple et en cette fin du mois de mars 2020, on a vu sur les chaînes de télévision, les foules haïtiennes se presser lors de la distribution de cartes d’identité pour avoir la possibilité de voter lors des législatives qui doivent se tenir dans les semaines à venir malgré les risques de pandémie liée au coranavirus. C'est souvent à travers la presse que ces faits divers sont mis au jour.

La faiblesse des États apparaît encore plus marquante face aux mafieux et narco-traficants, après l’épisode ahurissant pour un citoyen du Nord, qui s’est déroulé fin octobre dernier au Mexique un des pays les mieux organisés de la Région : un groupe de narcotrafiquants avec une dizaine de camions équipés d’armes très lourdes a attaqué une prison à Culiacan, sur le littoral Pacifique et a libéré une quinzaine de prisonniers dont le fils de « El Chapo », un des gros parrain de la drogue, emprisonné aux États-Unis. L’armée locale a été impuissante lors de l’attaque ; ces moyens n’ont pas résisté à la puissance de feu des mafieux.

On peut comprendre alors combien les populations sont fragilisées, surtout les plus démunies, combien un développement économique relève de la gageure. C’est, alors l’absence d’espoir plus que la misère qui fait croire qu’ailleurs au Nord « le ciel est plus bleu, la vie plus tranquille ».  

 
Carte n°2 : Orientations politiques et contestations dans la Caraïbe, situation 2020

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Auteurs : M. Bégot, AREC, F. Turbout, MRSH Université de Caen Normandie, 2020.

 

1.4. Catastrophes naturelles et migrations 

Ces vingt dernières années, les cyclones ont provoqué d’énormes dégâts et contribué à intensifier des flux migratoires vers des régions plus sûres. On ne retracera pas ici l’histoire de ces déplacements, on rappellera juste les derniers épisodes qui ont atteint la Caraïbe.

Il y a deux ans le cyclone Maria a ravagé la Dominique, Saint-Martin et Porto Rico. La première connaît depuis longtemps une forte émigration. Deux ans après l’épisode cyclonique l’île porte encore les traces de son action : quelques hôtels seulement ont été reconstruits, des routes restent endommagées ; la luxuriance de la végétation cache mal les ravages de septembre 2017. L’analyse est identique pour Saint-Martin où 91 % du bâti a été détruit. Le gouverneur de Porto Rico a initié une étude scientifique indépendante qui fait état de 2 975 morts après le passage du cyclone Irma (à l’origine le chiffre de 65 décès avait été avancé).

Lorsque les entités insulaires sont profondément atteintes, les populations tentent de fuir ; on a évalué à 3 000 personnes par jour les Porto Ricains qui ont fui vers les États-Unis pendant plusieurs semaines. La même chose s’est passée après Dorian en septembre 2019 avec pour conséquences : îles et îlots envahis par l’eau car ils ne sont qu’à quelques mètres au dessus du niveau des océans , habitations détruites ne pouvant résister à des vents de 300Km/h, manque d’eau potable, de carburant, d’électricité. Il existe aussi des situations dont on parle moins comme celle de Barbuda dont on a évacué l’ensemble de la population en 2017 et qui n’a retrouvé que la moitié de ses habitants.

Les volcans eux aussi participent lorsqu’ils entrent en éruption aux flux d’émigration. En 1999 la Soufrière, volcan de type péléen a fait disparaître de la surface de l’île de Montserrat, sa capitale, Plymouth. Sur les quelques 8 000 habitants d'alors, moins de la moitié est revenue sur l’île. On a reconstruit une capitale au nord mais accéder à cette île relève de la gageure car il n'y a peu ou pas de liaison aérienne  et le port est embryonnaire.

Alors même que l’on commémore, en ce début de janvier 2020, les 10 ans du séisme de Port-au-Prince qui a provoqué la mort de 300 000 personnes, Porto Rico subit depuis le 28 décembre 2019, un séisme et ses répliques dans le sud de l’île. La dernière le 11 janvier 2020 de magnitude 5,8 à 6,2 a secoué pour la troisième fois la petite ville de Guayanilla à l’Ouest de Ponce. Si l’intensité du séisme n’atteint pas celle d’autres phénomènes identiques, la faible profondeur – moins de 15 km - provoque de très graves dégâts. Depuis 15 jours les habitants vivent, dorment dans des refuges ou sur des parkings, sans eau potable ni électricité. À nouveau les Portoricains se sont rués vers l’aéroport de San Juan la capitale pour fuir. 

2. État des lieux 

2.1. Crises migratoires 

Une crise paroxystique en 2017-2018 qui jette des centaines de milliers de migrants sur les routes.

Du Mexique au Honduras, du Venezuela au Honduras, les associations humanitaires, les services aux réfugiés de l’ONU, montrent les migrants à la recherche de sécurité, pour eux et leurs familles, à la recherche de nourriture et d’éducation pour leurs enfants. À chaque fois ce sont des augmentations de prix, de taxes qui provoquent colère, violence et tentatives de migration. Ainsi en 2018, le Costa Rica a enregistré plus de 30 000 entrées de Nicaraguayens par semaine pendant les mois de juillet à septembre. Certains d’entre-eux ont demandé l’asile et des papiers officiels. Depuis un an et demi les choses se sont calmées ; le gouvernement de Managua est revenu sur les augmentations annoncées et a renoncé aux emprisonnements opérés pendant les manifestations. Les médias ne se font plus l’écho depuis 9 mois de courants migratoires intenses à partir du Venezuela. Le chiffre avancé pour 2017 s’élevait à 3 millions de départs. Si ces arrivées massives de Vénézuéliens ont provoqué quelques remous, des rejets xénophobes à l’encontre de nouveaux arrivants dans les pays d’accueil limitrophes (Équateur, Pérou) on n’a pas vu s’établir de camps de regroupements ou émerger des bidonvilles. Il faudra, sans doute, attendre encore un ou deux ans avant que les statistiques de l’ONU confirment ou infirment les chiffres avancés. 

2.2. Des politiques migratoires toujours plus drastiques 

Rôle de la politique Nord-Américaine :

Depuis la crise économique de 2010, les États-Unis ont renforcé leur politique anti-migratoire. Déjà sous la présidence de Barak Obama, plus de 2 millions de personnes avaient été expulsées du territoire nord- américain. L’élection de Donald Trump en 2016 a accentué le phénomène. Son obsession des migrants provoque des tensions dans toute la région. Il est nul besoin de rappeler le projet de construction du fameux mur voulu par le Président américain qui a été ébauché mais non arrivé à son terme, le Mexique ayant refusé d’en assurer le coût.

Pour masquer en partie cet échec, le Président Trump a eu recours à de très fortes pressions sur les petits États de l’Isthme centre américain Il a obligé le Guatemala, le Salvador et le Honduras à signer des accords en juillet et septembre 2019 ; selon les termes des traités, ces pays doivent accueillir les migrants, les garder sur leur territoire le temps qu’ils formulent une demande d’asile aux États-Unis. Cela rappelle étrangement la Convention de Dublin (actuel règlement Dublin II) de 1990 révisé en 2003 signés en Europe et réglementant l’accueil des migrants. Devant les réticences du Guatemala en particulier, les États-Unis ont menacé de sanctions économiques et de taxer les envois (remesas) d’argent par les nationaux guatémaltèques à leur famille. Ces sommes sont évaluées à 9,5 milliards de dollars par an et assurent la survie de centaines de milliers d’habitants dans ce seul pays.

Pour que l’accord soit valide au regard des normes internationales le Guatemala, par exemple, a été déclaré « pays sûr » par les États-Unis, ce qui est, pour le moins cocasse quand on connaît son taux de criminalité et celui des populations qui vivent sous le seuil de pauvreté. Les Églises, les ONG ont alerté l’ONU sans grand effet à ce jour. Cynisme de la politique étrangère internationale des États-Unis car ces accords ne visent qu’à la réélection de l’actuel président. 

Des frontières qui se ferment chaque jour davantage

Les flux migratoires en direction des États-Unis, ou dans l’Archipel vers les îles ayant un niveau de vie plus élevé persistent. Mais depuis deux ans, les frontières tendent plus ou moins à devenir « des murs ». Les contrôles sont de plus en plus drastiques. Les États-Unis ont fait pression sur le Mexique qui a mobilisé 25 000 soldats supplémentaires pour surveiller davantage tant la frontière Nord que celle du Sud.

Ces mêmes pratiques ont eu lieu sur la frontière orientale de la Colombie et le Brésil a renforcé ses unités militaires en Amazonie.

Les réseaux de passeurs s’adaptent, deviennent plus efficaces et tentent d’échapper aux contrôles tout en renchérissant le prix du convoyage. Ils utilisent les failles des systèmes, les opportunités physiques des territoires comme les mangroves dans lesquelles les armées se meuvent difficilement. La mer devient elle aussi un enjeu très fort ; dans l’archipel au lieu du gommier ou de la yole traditionnels, mieux vaut se servir de bateaux à grande puissance (équivalent des « go fasts » sur les routes de l’Europe). 

2.3. Le paradoxe des migrations de confort 

Retour au pays :

Des retraités  après une longue période d’activité en Europe (France, Espagne) reviennent s’installer au pays, dans les îles la plupart du temps pour profiter d’un climat plus clément. En Martinique, Guadeloupe ou Guyane, ils ont profité des systèmes de défiscalisation mis en place depuis la décennie 80, ont fait construire ou ont acheté des appartements. Ces populations ont un niveau de vie assez aisé, consomment, participent aux activités culturelles, en un mot, dépensent de l’argent suscitant par là un développement économique. Mais ces personnes vieillissent, accentuant un phénomène bien présent dans ces territoires, d’autant que les enfants sont la plupart du temps restés sur le continent. Comment les collectivités régionales peuvent-elles gérer ce qui est déjà problématique : manque de médecins, de structures pour accueillir les personnes âgées ? 

La recherche de lieux de vie à moindre coût.

Un nombre non négligeable d’Européens et Nord-Américains sont à la recherche de cadres de vie, plus cléments et où le coût de la vie est moindre que dans leur propre pays. C’est ainsi qu’on a vu apparaître des lotissements quasi exclusivement occupés par des étrangers en République Dominicaine sur la côte sud et dans la presqu’île de Samana au Nord-Est, mais aussi au Panama ; un certain nombre d’employés au Canal après la rétrocession de celui-ci par les États-Unis sont revenus s’installer, profitant de revenus conséquents et de la possibilité d’acquérir des appartements dans des résidences de luxe. Un mouvement similaire se déploie vers le Costa Rica qui en plus jouit d’une grande réputation de sûreté. 

Classes supérieures très riches et sites confisqués

En 1958, un ressortissant britannique, alors que l’Archipel de Grenadines-Saint-Vincent n’est pas encore indépendant, achète la petite île de Moustique à 30 km au sud et fait construire une villa luxueuse. L’île accède à la notoriété lorsque la sœur de la reine Elisabeth II, Margaret fait elle aussi construire en 1960 une villa. Elle sera suivie par 54 autres propriétaires. L’île est privée ; on ne peut accoster qu’avec autorisation. D’autres îlots dans les Îles Vierges sont dans une situation identique. Saint-Barthélémy sous juridiction française n’atteint pas ces extrémités mais elle reste le havre de très riches propriétaires. Les villas s’y louent entre 7 000 et 30 000 euros la semaine. Dans ces conditions on est entre soi. Les personnels de service regagnent tous les soirs Saint-Martin car se loger et se nourrir à « Saint-Barth » est impossible. Il y a 14 ans un sandwich des plus courants atteignait la modique somme de 28 euros !!

Moins accentué, le phénomène se retrouve à Anguilla qui est passé d’une île très faiblement peuplée à l’accueil de touristes pour des séjours plus ou moins longs dans des hôtels de grand luxe ; les populations autochtones étant rejetées sur la côte atlantique au nord. 

 

Il semble en ce début d’année 2020, que les flux de migrants ne soient plus la priorité ; ils auraient considérablement baissé, même s’il y a toujours un courant d’irréductibles qui tentent de se diriger vers le Nord. Mais les conditions sont devenues extrêmement difficiles. Le Guatemala, cependant fait état d’une diminution de 58 % de migrants aux frontières.

Aujourd’hui, les inquiétudes sont d’un ordre différent. Comme sur d’autres continents, de profonds mouvements agitent les populations qui se révoltent contre leurs élites. Les institutions politiques sont contestées, l’ordre social ou des lois sont remis en cause. Avec des aspects contradictoires ces révoltes parcourent tout le monde hispanophone américain et quelques îles de l’Archipel. Du Chili à la Bolivie, du Venezuela à l’Équateur, la rue s’enflamme et les tensions qui durent depuis le mois de novembre s’étendant comme une traînée de poudre. La Colombie est elle aussi entrée en rébellion avec des affrontements violents entre manifestants et armées, dans toutes les villes du pays, des concerts de « casseroles » sont organisés tous les soirs  : le gouvernement de Ivan Duque a du déclaré le couvre-feu pendant trois semaines d’autant que le mouvement des FARC qui avait signé des traités de fin de guerre avec l’État Colombien relance la lutte suite au non respect des accords signés par le président élu en 2018.

Pendant ce temps à Port-au-Prince, les habitants depuis 6 mois demandent la démission du Président Jovenel Moïse, accusé de détournements et de corruption dans le cadre de la politique appelée « pétro-carib » initiée par le président vénézuélien Hugo Chavez, poursuivie par Maduro. Le Venezuela vend à des tiers de la Caraïbe, le pétrole à des cours inférieurs aux tarifs internationaux. Mais le Président Haïtien se maintient car il est soutenu par les États-Unis qui ont décidé qu’il devait aller au bout de son mandat. Vérité démocratique en Haïti mensonge au Venezuela.

La semaine du 15 novembre, la paisible Dominique entrait elle aussi en éruption en contestant les listes électorales affichées par le gouvernement car celles-ci faisaient apparaître la possibilité pour des morts de voter.

Quels sont les points communs à ces mouvements ?

  • Des institutions démocratiques fragiles et la volonté de quelques élus de conserver le pouvoir en modifiant des constitutions, des personnes qui s’autoproclament présidents (Venezuela, Bolivie, Honduras).

  • Des cures d’austérité drastiques. C’est souvent l’augmentation des taxes soit de denrées alimentaires de base, soit de carburant qui provoquent ces révoltes.

Ces mouvements freineront-ils les migrations ou au contraire cela accentuera-t-il la fuite vers des horizons plus sereins ?

Auteur : Monique Bégot

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