MOBILITÉS ET MIGRATIONS
Les migrations intra-caribéennes
Quand les migrations ont été analysées, les études se sont davantage intéressées aux migrations extra caribéennes, soit qu’elles se soient attachées à analyser les départs et les diasporas rencontrées dans les grandes métropoles d’Europe et de l’Amérique du Nord, soit encore qu’elles aient observé les entrées dans la Caraïbe. Après avoir été, pendant plus de quatre siècles, une zone d’accueil de migrants volontaires ou contraints (esclavage et immigration indienne du XIXème siècle) la Caraïbe s’est révéléeune zone de départ surtout à compter de la seconde moitié du vingtième siècle, période de développement des transports aériens, de l’amélioration du niveau de vie dans certaines entités qui deviennent alors de puissants aimants, existence, parfois de guerres civiles dures comme ce fut le cas dans l’isthme centre-américain pendant vingt ans. Dans ce contexte, les migrations intra-caribéennes sont plus importantes que l’on ne croit et perpétuent d’une certaine manière, une très longue tradition d’aller et retour venue de la période amérindienne, symbolisées encore par « les pacotilleuses » haïtiennes qui vont d’île en île en vendant des produits de l’artisanat de plus en plus « made in China » 1 – Processus migratoire : jeux et enjeuxDans l’espace Caraïbe, les migrants, c'est-à-dire les personnes qui ne sont pas nées dans le pays de résidence s’élevaient en 2010 à 4,2 millions d’individus auxquels on doit ajouter près de 239 000 réfugiés soit au total près de 4,5 millions selon l’ONU (Bureau de la population). D’autres sources de l’ONU, comme le bureau des affaires sociales et économiques, avancent le chiffre de 2,5 millions de migrants dans la Caraïbe. C’est beaucoup et en même temps, peu au regard de l’ensemble de la population de la zone. Les migrants représentent un peu plus de 2% des populations caribéennes avec bien sûr des différences importantes d’une entité à une autre, et sauf exception ces flux ne posent pas de problème majeur. Il faut donc prendre avec prudence ces statistiques. En premier lieu, les données pour une même année peuvent varier d’un département à l’autre de l’ONU comme on le voit ; ainsi, il existe des différences notables entre ce que fournit « la Division Population » et « le Département des Affaires Économiques et Sociales ». Pour les instances Internationales, comme l’ONU, dont l’étude présente s’appuie sur leurs chiffres, le migrant est celui qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né. Il y a alors une différence profonde avec l’étranger qui est celui qui n’a pas acquis la nationalité du pays dans lequel il réside. Dans la plupart des cas, c’est cette position qui est admise. On peut alors déduire que les enfants de migrants nés dans le pays de résidence sont considérés comme des nationaux. Ils sont résidents au sens plein du terme. Il peut s’y ajouter un aspect « double nationalité » s’ils désirent à leur majorité conserver la nationalité du pays d’origine de leurs parents. Dans certains cas, les enfants nés de parents migrants restent des migrants et l’accès à la nationalité du pays de résidence s’avère très difficile. Enfin, pour la zone qui nous intéresse, les chiffres de migrants des îles appartenant à un ensemble plus vaste prêtent à confusion. La Guadeloupe et la Martinique sont l’exemple de ces possibles confusions. Au regard de l’INSEE - Institut National de la Statistique, organisme officiel de la France, le migrant est celui qui n’est pas né dans la région de résidence ; il peut être français et/ou étranger. Nous analyserons en détail au cours de l’étude ces cas qui font la richesse et la complexité de la Caraïbe. Dans la migration joue d’abord un phénomène de proximité :
Enfin, autant voire plus que la proximité, ce sont les écarts de richesse entre les entités qui créent ces mouvements de population. Certains pays (Costa Rica), certaines îles constituent des « eldorados » pour les populations de la zone. Le cas des îles encore sous tutelle d’une métropole européenne ou américaine (Martinique, Guadeloupe, Vierges américaines ou néerlandaises, Porto Rico) sont de véritables miroirs aux alouettes. Des revenus élevés, des systèmes éducatifs ou de santé efficaces sont de puissants aimants. Le cas de la Guyane française est révélateur de cette situation à plus d’un titre. D’abord havre de paix pour les Surinamiens pendant la longue guerre civile qui s’est déroulée sur la rive gauche du Maroni, elle a été aussi un refuge au calme tout provincial, pour Dési Bouterse que l’on pouvait voir, bardé d’armes, entouré d’hommes de main eux aussi puissamment armés, étaler ses longues jambes aux terrasses des cafés. Les quelques gendarmes de Saint-Laurent n’y pouvaient guère grand-chose, si ce n’est contrôler ou regarder ailleurs. En 2010 ce personnage a été élu président après une élection très contestée par la quasi-totalité de la communauté caribéenne et sud américaine. La paix revenue, les Surinamiens comme les Brésiliens autour de Saint-Georges de l’Oyapock, ont opté, en partie, pour la stabilité et pour des systèmes de santé et d’éducation performants. Il arrive fréquemment que la moitié des enfants dans une famille naissent en terre guyanaise française s’assurant ainsi une nationalité qui semble les protéger, l’autre moitié est domiciliée au pays des parents. « Un pied » de chaque côté du fleuve permet de garantir l’avenir. Ces conditions expliquent l’augmentation explosive de la population de la Guyane : en 1987 on comptait 87 000 habitants, en 1990, 115 000, en 2000, 180 000, en 2012, les évaluations l’estime à 230 000 habitants ce qui signifie que la population a été multipliée par trois en trente ans. Ces flux provoquent de vives tensions dans les maternités sur-occupées et dans les établissements scolaires qui connaissent de plus en plus de classes composées de non francophones, dans les agglomérations qui manquent de logements sociaux. Toutefois on doit ajouter que la migration issue du puissant voisin brésilien s’est ralentie depuis l’évolution économique positive du pays sous les présidences de Lula Da Silva et de Dilma Roussef Tout n’est pas réglé, loin de là, mais la croissance économique, les politiques sociales permettent des espoirs. Il reste que la misère des populations du Nordeste ou de l’Amazonie, pousse encore les migrants vers l’exploitation clandestine des champs aurifères ou vers les bas fonds de Cayenne. Enfin les circuits de drogues détournés vers les Guyanes, puisque aujourd’hui une part notable de la drogue consommée en Europe et aux États-Unis transitent par l’Afrique de l’Ouest, favorisent des flux de migration.
Flux de migrants dans la Caraïbe entre 1990 et 2010
Le poids des migrations
2 - Les deux aimants des Grandes AntillesDans les Grandes Antilles sur une population totale de 33 millions d’habitants le nombre de migrants recensés était de 913 233 en 2010. Dans cette partie de la Caraïbe, les mouvements sont importants, même si la précision du chiffre ne doit pas faire illusion sur le comptage des flux qui se voudrait exhaustif. Malgré ces réserves, deux entités sont particulièrement attractives bien que pour des raisons différentes : La République dominicaine et Porto Rico.
Schématisation des processus migratoires : quelques exemples
2.1 - La République dominicaineLa République dominicaine apparaît toujours aux populations haïtiennes comme un eldorado et ce depuis plus de 90 ans. Les régimes politiques haïtiens ont amplifié les mouvements : d’abord celui du Docteur François Duvalier et de son fils Jean Claude, puis après l’intermède Aristide, le coup d’état du général Cedras, les a renforcés4. Le dernier épisode dramatique pour Haïti, le tremblement de terre de Port au Prince le 12 janvier 2010 a entraîné le départ vers l'État voisin des populations ayant tout perdu. A contrario, le régime politique dominicain est stable depuis maintenant une vingtaine d’années avec de réels progrès démocratiques et une situation économique et sociale qui s’est améliorée. L’immigration haïtienne traditionnelle- dans les « bateys » existent toujours. Leur mauvaise publicité, liée à de très sérieuses enquêtes journalistiques, à l’activité d’ONG ont contribué à améliorer un tant soit peu la vie de ces ruraux, mais le système perdure dans les zones cannières du sud-est et dans les régions caféières et cannières du centre-est. Depuis quelques années, c’est dans les villes que l’immigration haïtienne est installée, occupant d’abord les petits métiers tels que cireurs de chaussures, chauffeurs de taxis, emplois précaires de vendeurs de rues, et dans les zones franches peu regardantes sur l’origine des salariés .Plus récemment, les Haïtiens ont aussi investi massivement le secteur du bâtiment et celui de l’hôtellerie. La frontière haïtiano-dominicaine est très perméable comme on l’a déjà signalé. C’est souvent un maigre ruisseau qui se traverse à pied sec. Ainsi plusieurs reportages ont fait état de mouvements les jours de marché entre la petite ville de Dabajon et l’Est de Haïti : les Haïtiens viennent proposer légumes et fruits qui manquent pourtant cruellement aux habitants d’Haïti, et repartent avec des vêtements, des ustensiles qui font l’objet d’un négoce. Certains se sont installés définitivement, ou tout au moins ils voudraient le croire, dans ce petit bourg du nord-ouest de la République dominicaine. En septembre 2011, il se murmurait que 20 000 Haïtiens avaient été reconduits dans leur pays. Ce phénomène de reconduite à la frontière est un tabou d’autant que la situation économique de Haïti ne s’est pas améliorée depuis deux ans : le cyclone Sandy suivi d’une séquence de très fortes précipitations (début novembre 2012) viennent à nouveau de dévaster l’île. L’agriculture, déjà en difficulté a été durement touchée faisant craindre une grave crise alimentaire. Le contentieux entre les deux entités reste vif et les problèmes sont loin d’être réglés car, la législation dominicaine n’accorde que très parcimonieusement la nationalité aux Haïtiens qui la demandent et que les enfants nés de parents migrants restent des migrants. On arrive ainsi à des situations intenables pour les descendants de migrants : résidant en République dominicaine depuis au moins trois générations, ils sont toujours étrangers dans le pays, peuvent être expulsés après de contrôles inopinés, et sans aucun égard, être renvoyés dans un pays qu’ils ne connaissent pas et dont ils ne parlent pas la langue, le créole. Plusieurs grandes organisations internationales, se sont élevées contre ces pratiques ; de nombreux intellectuels ont montré l’importance du poids économique de cette frange de la population. De récentes enquêtes montrent d’autres circuits complexes de migration. Les candidats au départ de Haïti, migrent aujourd’hui vers l’Amazonie brésilienne, via Santo Domingo, le Panamápuis rallie dans des conditions plus ou moins farfelues et dangereuses l’Amazonie péruvienne à Iquitos pour ensuite rejoindre le Brésil. Le coût du passage s’élèverait à plus de 3 000 euros au début de l’année 2012, avec à l’arrivée une énorme déception : les populations de ces régions brésiliennes sont extrêmement pauvres et les migrants haïtiens correctement vêtus apparaissent comme « des riches individus » confirmant ainsi l’adage, « on est toujours le riche de quelqu’un » ; le rejet est manifeste d’autant que la concurrence sur le marché de l’emploi se fait sur les mêmes créneaux. Ces flux sont avérés et le gouvernement fédéral brésilien a officialisé début janvier 2012, la possibilité annuelle pour 4 000 Haïtiens de s’installer dans le pays. Les tensions s’apaiseront sans doute à partir du moment où les migrants se disperseront sur l’ensemble du territoire brésilien. Dans ce cas la République dominicaine n’est plus qu’un relais, une étape. 2.2 - Porto Rico est l’autre exemple symptomatique de la situation de la zone des Grandes AntillesPour les populations étrangères Porto Rico, État associé aux États-Unis est aussi une porte d’entrée vers « l’Eldorado nord américain ». Pendant longtemps une réussite industrielle insolente surtout quand on la comparait autres entités de la Région a attiré une main d’œuvre en quête de travail. La crise de 2008, les restrictions à l’immigration vers les États-Unis ont contribué à ralentir les mouvements d’immigration. Ces dernières années la Grande île aurait même perdu des migrants. 2.3 - Cuba et la Jamaïque : des îles « fermées »Cuba reste peu accueillante pour les migrants. Les étrangers qui y vivent participent le plus souvent d’accords de coopération entre deux États. C’est le cas de Venezuéliens qui y travaillent dans le cadre d’accords sur la santé et l’éducation (30 000 Cubains travailleraient au Venezuela) ou la recherche pétrolière à laquelle participent des Venezueliens dans le Golfe du Mexique où une énorme plateforme de sondage à été installée fin 2011 à une trentaine de kilomètres de la Havane ; cette structure est parfaitement visible depuis le Malécom. Les Cubains sont plutôt candidats au départ encore que le mouvement se soit ralenti ces 20 dernières années, mais les choses peuvent changer avec l’annonce le 15 octobre 2012 de la possibilité pour les Cubains de voyager sans demande particulière sauf bien sûr la détention d’un passeport (il n'y aurait plus d’autorisation à réclamer sauf pour quelques intellectuels). La Jamaïque est une exception dans la mesure où l’immigration est faible. A l’écart des « routes traditionnelles, la faiblesse du développement économique, et peut-être également l’environnement linguistique jouant sans doute un rôle, n’attirent que peu les migrants. Peut-être aussi l’état d’insécurité ne favorise t-il pas l’arrivée de populations fragiles par définition. Les études manquent pour cette grande île de la Caraïbe. 3 – Petites Antilles : une migration « saut de puce »Les entités des Petites Antilles ont la particularité de présenter des niveaux de richesses très différents. Certaines îles ont des niveaux de vie qui rappellent ceux des pays développés. Certaines ont des liens étroits avec des pays européens (France, Royaume-Uni et Pays-Bas) ou avec les États-Unis (Îles Vierges et Porto Rico). 3.1- D'île en île, une migration « à la carte »Dans ces conditions, les habitants de la puissance continentale peuvent s’y installer comme ils le désirent sans grande contrainte, en tout cas légales. C’est l’exemple des Îles Vierges américaines dont 56 % de la population ne sont pas nés sur le territoire et sont citoyens américains avec cependant la particularité de ne pouvoir voter pour les élections présidentielles. Pour d’autres le niveau de développement économique constitue un pôle d’attraction pour un environnement proche. Ce serait les cas des DFAqui cumulent les deux aspects mais surtout celui de Barbade ou de Trinidad et Tobago. Il est cependant difficile de suivre ces migrants, car dans le contexte géographique des Petites Antilles « les sauts de puce » d’une île à une autre sont relativement faciles. Ainsi Sainte-Lucie voit arriver des migrants de Saint-Vincent et des petites îles de l’archipel qui lui sont associées, et les Saint-Luciens ont souvent comme horizon la Martinique pour ensuite poursuivre vers l’Europe, les États-Unis ou le Canada. On trouve de nombreuses familles sainte-luciennes éclatées sur les deux continents, de l’Irlande à la Grande-Bretagne, au Nord-Est des États-Unis, un troisième « pied » solidement implanté en Martinique et quelques membres de la famille qui sont restés accrochés à un village au pied des Pitons. D’autres récits racontent des voies improbables de migration : en 1968 une famille quitte Trinidad pour Grenade, y réside six ans, se déplace à Barbade en espérant atteindre les États-Unis. Un membre de la famille réussit, obtient une carte verte, étudie l’anglais et enfin se fixe dans les Îles Vierges, dans l’île de Sainte-Croix où cette personne réside encore. Ces histoires pourraient se multiplier à l’infini car les migrations dans les îles ne sont pas que des statistiques, mais avant tout des parcours humains, des trajets de vie. Ce sont ces exemples qui donnent réalité à la Caribéanité ; les migrants en amenant des pratiques, des éléments de culture propres à leur région d’origine modifient peu ou prou des pratiques, des éléments de culture dans l’entité de résidence, contribuant à créer une identité commune 3.2 - La Guadeloupe et la Martinique : symboles de possibles confusionsLes statistiques internationales affichent des stocks impressionnants de migrants dans ces deux îles, ce qui ne laisse pas d’étonner des connaisseurs de la zone : 104 940 pour la première, soit plus du quart de la population et 71 457 pour la seconde soit 18 %. Par ailleurs la préfecture de la Martinique déclare un nombre de migrants inférieurs à 9 000 individus ; ce chiffre correspond à un nombre d’étrangers quasiment similaire. D'autre part, des études sur la Guadeloupe montraient l’installation de 38 723 étrangers en 2009 (ils n’étaient que 27 000 en 2004). Ce sont les Haïtiens qui constituent la minorité la plus importante (23 232) suivis par les Dominicains (8 057) et les migrants de l’île voisine de la Dominique (2 329). Si l’on considère les premières données, cela signifie que la définition de migrant est prise différemment selon les pays. Dans le cas d’analyse nationale et dans certaines sections de l’ONU, le migrant est celui qui n’est pas né dans la région de résidence. Les deux chiffres affichés correspondent alors soit à des populations métropolitaines venues s’installer en Guadeloupe et en Martinique, soit à des descendants de ces Antillais français, nés dans l’hexagone. Souvent des fonctionnaires, de jeunes étudiants antillais débutent leur carrière en France hexagonale et reviennent « au pays » avec des enfants nés ailleurs. Ces enfants sont des migrants. Dans les années 90, l’INSEE avait évalué le nombre de migrants en Guadeloupe, arrivés de la France Hexagonale à plus de 55 000 personnes soit 52 % du total. Les chiffres pour la Martinique sont du même ordre. Dans ces deux cas les statistiques nationales et quelques données internationales utilisent les mêmes mots qui recouvrent des réalités différentes. Nous n’avons pas trouvé de précisions pour les Îles Vierges américaines - 56,5 % de la population est considérée comme migrante- ou Anguilla (39,2 %) pour lesquelles les statuts sont identiques aux Départements Français d’Amérique. 4 – Isthme : entre pôle magnétique et mouvement brownienPour les États isthmiques et ceux du Continent Sud Américain, c’est avant tout la proximité qui joue ainsi que des différentiels économiques importants. Le Mexique, par exemple, est un pays « pauvre » comparé à son voisin du Nord, mais son PIB par habitant correspond à deux fois et demi celui du Guatemala ou du Honduras et trois fois celui du Salvador ; il devient donc un état attirant pour des populations en quête d’une vie meilleure, ou simplement une étape sur le chemin du mythique « espoir » du nord. La même analyse peut être avancée pour le Panama ou le Costa Rica voire pour le Venezuela, plus riche, grâce à la manne pétrolière, que la Colombie voisine. Mais les flux sont complexes : certains partent (les Mexicains de façon légale pour une minorité d’entre eux), alors que d’autres arrivent qui remplacent dans les travaux saisonniers en premier lieu, les ouvriers ayant émigré (c’est le cas des Guatémaltèques – ils étaient 27 400 en 2009- ou des Honduriens et Salvadoriens). Ils sont employés dans la récolte de la canne, des bananes ou du sisal. Après quelques saisons ces migrants se fixent. Mais, il y a aussi tous ceux qui tentent de gagner les États-Unis en suivant la Panaméricaine, grand axe routier qui court de l’extrême sud du Chili à l’Alaska ou encore les voies de chemin de fer en s’accrochant dans des conditions périlleuses aux wagons. Ces flux ont augmenté de 10 % entre 2009 et 2010, le nombre des migrants se situent dans une fourchette comprise entre 860 et 960 000 individus. (Parmi eux, il y a bien sûr quelques Mexicains de retour au pays c’est-à-dire des citoyens mexicains qui reviennent s’installer). Dans toutes les entités de la zone les « smugglers » - les passeurs- jouent de leurs connaissances du terrain, des pratiques policières, des réglementations. En ce sens, il n’y a pas d’originalité « sous le soleil caribéen » pour développer un commerce lucratif, voire criminel quand les passeurs éliminent ceux dont ils ont la charge. Dans l’isthme, le Costa Rica et le Panama dont les PIB par habitants sont supérieurs à 6 300 dollars attirent les populations voisines. 4.1 - Le Costa Rica : une tradition d'immigrationLe Costa Rica bénéficie d’une longue tradition d’immigration depuis le développement des cultures bananières au début du XXème siècle, de stabilité politique et économique malgré quelques tensions réactivées ces derniers mois sur la frontière avec le Nicaragua et en mer des Caraïbes. Il n’a pas d’armée seulement une garde policière, et n’a pas connu de guerres depuis près d’un siècle contrairement aux autres entités de la région. La culture démocratique y est fortement enracinée et pendant longtemps, le pays a fait figure de modèle. Ses productions agricoles de qualité se vendent bien sur les marchés internationaux (café, banane, cacao, ananas, fruits tropicaux comme les goyaves, les papayes moins connues mais recherchées par l’industrie des jus de fruits). Les migrants comme ailleurs travaillent dans l’agriculture et le bâtiment, voire l’hôtellerie. A noter aussi que le Costa Rica « exporte » des cadres dans les pays voisins. 4.2 - Le Panama : terre d'investisseursLa Panama présente des aspects un peu différents : le régime démocratique ne s’est installé que depuis une vingtaine d’années et il a pendant longtemps connu des soubresauts, des violences internes. Même si l’immigration est un phénomène ancien qui remonte au percement du Canal de Panama, celle-ci s’était tarie devant les instabilités du régime. Aujourd’hui ce pays attire les migrants, parce qu’il a développé fortement ses activités financières légales ou interlopes ; ainsi il y aurait 60 000 Vénézuéliens qui, pour échapper à l’impôt ou à des taxations dans leur pays, se seraient installés au Panama ces cinq dernières années. Ces chiffres sont un ordre de grandeur et peuvent être discutés. De même on constate qu’un nombre toujours plus importants de citoyens nord-américains viennent investir dans l’immobilier en pleine expansion et se fixer au Panama. Ce sont souvent des retraités ou d’anciens employés du Canal mais aussi de notables communautés chinoises qui viennent s’installer. Ces groupes accompagnent l’engagement financier de la Chine, dans les secteurs les plus divers (marine, recherche de matières premières, placements financiers). Les médias au début du mois de novembre se sont fait l’écho des vives tensions sociales car le gouvernement voulait vendre des terres en bordure du canal à des migrants et à des sociétés étrangères. Devant l’ampleur des protestations il a du reculer : preuve du nouvel enracinement de la démocratie. 4.3 – Colombie et Venezuela : une migration économique entre proches voisinsUne longue histoire de migration existe entre les deux États qui, d’ailleurs, furent unis très brièvement au début du XIXème siècle dans la construction de la République Bolivarienne. Les deux entités revendiquent très fort le symbole du héros Simon Bolivar. Aujourd’hui, le Venezuela est plus ouvert aux migrants. Comme on l’a mentionné au cours de cette étude, c’est le différentiel économique qui explique en grande partie cette attractivité (le PIB par habitant du premier est le double du second). L’exploitation pétrolière dès les années 1930 dans le Golfe de Maracaïbo a été un puissant stimulant. Cela le reste. Mais au cours des soixante dernières années c’est surtout la guerre civile en Colombie qui a provoqué l’émigration des populations : guerre contre les FARC dans le Sud et l’Ouest du pays, lutte contre les narco-trafiquants, crainte des milices d’extrême droite dans le nord. On ne peut nier que d’énormes progrès ont été accomplis pour pacifier les territoires mais aussi les rapports sociaux. Les récents pourparlers entre le gouvernement colombien et les FARC autorisent quelques espoirs ; les efforts pour un développement économique raisonné, l’amélioration du niveau de santé des habitants ralentiront sans doute ces flux. Les mouvements de migrations ne peuvent décroître. Ils fluctuent au gré des catastrophes naturelles (séismes, cyclones), des avatars politiques quand bien même la situation s’est considérablement améliorée. Mais l’espérance d’un niveau de vie meilleur, de réussite pour les enfants pousse encore beaucoup d’habitants de ces entités sur les routes de l’immigration. L’espoir est là qui balaie pourtant tous les faits car la violence la plus extrême règne. Les passeurs ne s’embarrassent pas de sentiments humanitaires. Le Mexique, violent, avec ses populations, puisque on avance le chiffre de 50 000 morts dans le conflit contre les narco-trafiquants, l’est aussi avec les migrants. Une caravane impressionnante de mères venues de tous les États de l’isthme, parcours le Mexique à la recherche de migrants disparus lors de leur périple pour atteindre les États Unis. On parle de 70 000 disparus depuis cinq ans. Qu’en est-il réellement ? Quand bien même ce chiffre serait surévalué, il montre que la migration est toujours l’ultime solution pour des populations qui ne supportent plus la pauvreté ou la contrainte politique.
La Caraïbe malgré tous les progrès observés vit encore les nombreuses disparités, et les contradictions ; dans tous les pays de la zone, l’immigration clandestine est mal appréhendée (ce qui est logique) et souvent sous-estimée. D’une immigration « de passage » au Costa Rica ou au Panama, à une immigration « installée » en Guyane française, et dans les Îles Vierges, tous les cas existent. Mais l’immigration ne peut être perçue uniquement comme un problème ; elle constitue aussi un des éléments qui construisent La Caraïbe. Des nuances linguistiques, culturelles se répandent dans les carnavals, la peinture, la musique. Il y a des pratiques, des usages, un rythme, des couleurs caribéennes. Les populations se découvrent, s’affrontent dans la douleur, parfois, lorsque les tensions s’affirment ; mais aussi dans le partage et les échanges créant une terre de mélange et de métissage comme l’écrivait Edouard Glissant. Haut |
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