TOURISME
 
Tourisme de séjour (2003-2007)


Tourisme et Bassin caraïbe forment, a priori, un couple fort ; les 34 États et territoires sous tutelle qui se partagent cette ouverture sur le golfe du Mexique et la mer des Antilles constituent, en effet, avec la Méditerranée et l'Asie-Pacifique, l'une des trois grandes aires mondiales de séjour et de croisière. L'image idéelle des « 3 S » (Sea, Sand, Sun), fondement originel de cette attirance, n'est pas pour autant également partagée, aussi bien sur la bordure continentale que le long du chapelet insulaire des Grandes et des Petites Antilles. Si aucun territoire n'ignore le tourisme, celui-ci ne les fait pas tous vivre : quand Antigua tire de ce secteur 75 % de son PNB et 90 % de ses emplois, Haïti n'atteint pas 5 % pour ces deux indicateurs. Le classement de la fréquentation fait apparaître trois groupes numériquement égaux : un tiers des destinations accueille annuellement plus d'un million de visiteurs, un tiers entre 500 000 et un million, un tiers moins de 500 000.

Au-delà de ce constat statistique, la carte présentée souligne d'emblée une double dissymétrie, nord-sud et est-ouest, par proximité nord-américaine et connexité européenne. Mais derrière cette opposition majeure, une analyse plus fine permet de révéler trois niveaux de fréquentation, de logiques spatiales et de structuration : le Bassin caraïbe associe à un triangle lourd septentrional, un arc oriental inégalement fréquenté et des bordures méridionale et occidentale encore marginales.

Un triangle lourd

L'appendice floridien au nord, la presqu'île du Yucatán à l'ouest, les îles Vierges américaines et Sint Maarten à l'est délimitent un grand triangle dans lequel se concentrent les trois quarts de l'activité touristique internationale, le littoral septentrional et occidental du golfe du Mexique accueillant quant à lui plus volontiers une clientèle nationale, en dehors de la Louisiane. Dans cet espace ainsi délimité, s'opposent nettement des destinations majoritairement tournées vers la croisière (Caïmans, îles Vierges américaines, Sint Maarten, Bahamas) à des points forts du tourisme de séjour, anciens (Porto Rico, Floride voire Mexique) ou s'imposant au cours de la dernière décennie (République dominicaine, Cuba) ; dans ce dernier cas, la force des investissements réalisés (7 milliards de dollars entre 2004 et 2007 en République dominicaine) et la faiblesse du coût de la main-d'oeuvre locale constituent les ingrédients fondamentaux de leur réussite et expliquent la croissance conjointe de leurs fréquentations et des revenus tirés de cette activité (septuplés à Cuba entre 1990 et 2005).

La nature insulaire de la plupart de ces destinations ou leur proximité géographique n'assure pourtant aucun gage d'homogénéité dans leur fréquentation, bien au contraire ; si Cuba et les îles Caïmans enregistrent par exemple à peu près le même nombre de visiteurs, leur tourisme (et leur clientèle) s'opposent radicalement, alors que les deux îles ne sont séparées que de 300 kilomètres : le premier est voué au séjour d'une clientèle essentiellement européenne ; le second est avant tout dépendant des croisiéristes nord-américains. De même, mais à des niveaux différents, les catégories de touristes des îles Vierges américaines et de Sint Maarten s'inversent totalement par rapport à celles de leur grand voisin portoricain. On peut remarquer toutefois que, globalement, les Grandes Antilles sont plus visitées par des touristes de séjour que par des croisiéristes, leur trop forte unité culturelle et linguistique les pénalisant face à la diversité des îles voisines.

Ce vaste triangle correspond aujourd'hui à un espace de loisirs totalement américanisé, y compris par l'appropriation par des compagnies de croisière états-uniennes, d'îlots de l'archipel bahaméen, transformés en escales balnéaires privatisées. Ici s'expriment sans partage une économie dollarisée et des pratiques linguistiques dominatrices, largement alimentées par la proximité du foyer émetteur nord-américain. Au centre de ce vaste espace récréatif cependant, deux destinations restent marginales et boudées par la croisière, les îles Turks-et-Caïques d'une part, Haïti d'autre part ; la première, archipel sous tutelle britannique d'à peine 17 000 habitants, non sans revenus touristiques, s'est cependant davantage orientée vers les activités financières offshore, aux retombées confortables et immédiates ; la seconde reste dramatiquement pénalisée par son manque récurrent de sécurité, d'État et de stabilité politique.

Un arc insulaire inégalement fréquenté

À partir de Sint Maarten, la base orientale de ce triangle lourd se prolonge en virgule jusqu'à Trinidad-et-Tobago, en épousant la forme arquée des Petites Antilles. Ici, toute modélisation touristique échappe à une construction unitaire, tant les oppositions sont marquées et tant les exceptions infirment toute règle établie, même pour des territoires insulaires exigus, dépassant rarement 1 000 km². Le diptyque petite île - tourisme ne fonctionne donc pas nécessairement partout avec intensité ; l'hétérogénéité des clientèles, des dessertes et des aménagements se nourrit de ce patchwork naturel, historique, linguistique et culturel. Au fur et à mesure que l'on progresse vers le sud de cet arc, la présence nord-américaine devient souvent moins majoritaire, car elle est directement concurrencée par une clientèle plus européenne (voire plus régionale), connectée alors avec les foyers émetteurs outre-atlantiques. Le long de ce chapelet insulaire, trois sous-types se dégagent néanmoins :

  • Le premier inclut des îles comme Saba, Saint-Eustache, Montserrat, Barbuda, où la faiblesse de leur fréquentation (à peine 10 000 visiteurs annuels), ajoutée à l'absence de l'activité de croisière répond à la discrétion de leurs infrastructures d'accueil et d'hébergement ; un double obstacle pénalise ces destinations : soit l'importance des dénivelés, cumulée à la petitesse des surfaces, peut d'abord naturellement en limiter l'accès et empêcher tout atterrissage de gros porteurs (Saba, Saint-Eustache) ; soit leur dépendance politique et économique les réduit à de simples périphéries d'îles voisines dominatrices (Nevis/Saint-Kitts, Barbuda/Antigua, Saba, Saint-Eustache/Sint Maarten) ou de la couronne britannique (Anguilla et Montserrat).
  • Le deuxième ensemble intègre des îles comme Saint-Kitts et Grenade (avec environ 300 000 touristes par an), Antigua et Sainte-Lucie (plus de 600 000). Elles correspondent à des destinations concurrentielles, qui ont choisi le tourisme comme alternative à une économie de plantation en déclin et comme pilier de leur politique de développement. Leur croissance soutenue se justifie par leur double connexion à leurs anciennes métropoles et aux grands hubs états-uniens, ainsi que par leurs efforts consentis en matière d'accueil et d'infrastructures d'hébergement. A contrario, si les Antilles françaises se situent volontiers dans ce groupe par le nombre de leurs visiteurs, elles n'offrent qu'une image ternie par la récurrence de leurs conflits sociaux, la cherté de leurs prestations, le manque de chaleur et d'implication de leurs acteurs, la congestion de leurs réseaux routiers et l'insuffisance de leur desserte internationale.
  • Avec plus d'un million de visiteurs, la Barbade et Sint Maarten font partie du dernier ensemble. La densité des connexions aériennes internationales (six compagnies régulières pour la Barbade, une vingtaine y compris charters pour Sint Maarten), associée à l'extrême variété de leurs infrastructures d'hébergement, explique aisément le succès de ces destinations. Cependant, si la Barbade offre un modèle de classique opposition entre une côte au vent peu touristifiée et une côte sous le vent densément équipée, Sint Maarten présente, quant à elle, un modèle annulaire littoral saturé (avec plus de 37 touristes/hab. et plus de 47 000 /km² !), porteur de tensions sociales inquiétantes.

Des bordures continentales encore marginales

Les bordures méridionale et occidentale du Bassin caraïbe connaissent dans l'ensemble des niveaux de fréquentation plus faibles, quoique toujours hétérogènes. Les exemples des trois îles hollandaises d'Aruba, de Curaçao et de Bonaire le confirment aisément : toutes trois partagées entre croisière et séjour, Aruba reçoit néanmoins deux fois plus de touristes que sa voisine Curaçao et 11 fois plus que Bonaire, sur une surface deux fois plus petite. Ces différences se retrouvent également dans l'origine géographique de la clientèle : si cette dernière est majoritairement états-unienne à Aruba, elle est d'abord hollandaise et caraïbe à Curaçao. Sur le continent, le même constat prévaut : le Venezuela reçoit deux fois moins de visiteurs que son voisin colombien et cinq fois moins que le Costa Rica. Presque partout sur cette bordure continentale, les croisiéristes sont minoritaires. Certes, une même empreinte culturelle hispanique n'attise guère la concurrence entre voisins ; mais à l'évidence, d'autres facteurs y contribuent : d'une part, l'effet d'éloignement par rapport aux ports-bases floridiens sait être un frein à l'aire récréative états-unienne ; d'autre part, la traversée du vide central de la mer des Caraïbes constitue un parcours « mort », sans escale possible et donc sans aucune rentabilité économique ; enfin, la méfiance face au « virage à gauche » de cette région et l'élection de gouvernements revendiquant l'affranchissement de la tutelle de Washington ne peuvent être des vecteurs très favorables aux politiques commerciales des compagnies nord-américaines. Seul le Belize apparaît désormais comme l'ancrage occidental extrême de la croisière, dans l'ombre bienfaitrice de Cozumel et du Yucatán, avec une inversion totale par rapport à ses voisins centre-américains de la proportion entre séjour et croisière au profit de ce dernier. A contrario, partout ailleurs dans les États de l'isthme centre-américain, le séjour prend le pas sur la croisière, avec parfois des voies originales comme au Costa Rica, qui a privilégié la carte environnementale et l'écotourisme, en misant sur l'aménagement de ses parcs naturels, véritable ressource identitaire, qui couvrent le quart de sa superficie. L'« envahissement » nord-américain s'efface ici devant la domination d'une clientèle plus souvent régionale, mais sans concentration excessive. Comparée au proche domaine insulaire, la pression touristique y demeure inexistante, le nombre de touristes par habitant ne dépassant jamais 0,3. Cette extrême faiblesse peut d'ailleurs servir de marqueur spatial à la délimitation méridionale de l'aire récréative nord-américaine, le tourisme, sauf exception, ne participant guère aux économies nationales de cette bordure continentale du Bassin caraïbe, même si les revenus tirés de cette activité ne sont pas négligeables.

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Auteur : Thierry Hartog

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