MOBILITÉS ET MIGRATIONS
 
L’immigration haïtienne en République Dominicaine

1. Les origines de l’immigration haïtienne en République Dominicaine  

La République Dominicaine (RD) et la République d’Haïti (RH) partagent le même espace insulaire. Cela explique - en partie - le fait que l’immigration haïtienne en République Dominicaine ait toujours existé. Cependant, cette immigration s’accentue au XIXe siècle, jusqu'à atteindre une ampleur considérable au XXe siècle lors de l’occupation étasunienne. De 1915 à 1934, les États-Unis d’Amérique occupent Haïti, puis de 1916 à 1924 ils occupent la République Dominicaine, c'est-à-dire que pendant une certaine période les États-Unis occupent l’intégralité de l’île Hispaniola. Pendant cette période, les États-Unis d’Amérique (EU) mettent en place une économie de plantation basée sur la canne à sucre. Pour mener à bien leurs cultures, ils ont besoin d’une main-d'oeuvre peu qualifiée et sous-payée. Très rapidement, les dominicains manifestent leurs réticences à l’égard de ce travail qu’ils dédaignent. Pour eux, c’est un travail de « bon à rien » qui correspondrait davantage à « un Haïtien »… Débute alors l’immigration massive des Haïtiens vers la partie ouest de l’île. Ce passage de l’histoire est très révélateur de la réputation des Haïtiens en République Dominicaine et entérine également la soi-disant « infériorité » du peuple haïtien.  

2. Les causes de l’immigration haïtienne : des enjeux sociaux, économiques et environnementaux 

On peut alors se demander pourquoi est-ce que les Haïtiens affluent en République Dominicaine ?

Outre la tradition de l’exil, la raison est claire : c’est dans l’espoir d’obtenir des meilleures conditions de vie. En effet, Haïti est un État fragile souffrant d’un taux de chômage très élevé, d’une désorganisation des services sanitaires, ainsi que d’une extraordinaire instabilité politique. De plus, il est important de souligner le fait que le pays ne s’est que très peu développé pendant l’occupation étasunienne, contrairement à sa voisine qui jouit d’une économie de plantation florissante. Cela signifie que la République Dominicaine offre des possibilités de travail que la République d’Haïti n’est pas en mesure de proposer à ses citoyens.

À partir des années 1980, ce dynamisme s’affirme. On observe alors un accroissement des échanges entre les deux parties de l’île, ainsi que le développement et l’essor des relations commerciales. Cela se matérialise, par exemple, à travers l’émergence des marchés frontaliers

Carte n°1 : Carte des marchés frontaliers en République Dominicaine 

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Auteurs : Caroline Chappé en collaboration avec Maxime Gueho, 2018. 

 

Au nombre de quatorze, ils couvrent l’ensemble de la frontière du côté dominicain. Les marchés les plus importants correspondent aux principaux points de passage officiels de la frontière, à savoir (en partant du Nord vers le Sud) : Dajábon, Elias Piña, Jimaní et Pedernales. Ce sont de véritables lieux de rencontre entre les deux pays et un moment d’effervescence commerciale. En effet, les jours de marché (environ 2 jours par semaine), la frontière s’ouvre et sous la surveillance souvent abusive de l’armée dominicaine, (ces zones de passage frontalières ont la réputation d’être des zones de rackets organisées par l’armée dominicaine à l’encontre du peuple haïtien), les Haïtiens ont le droit de traverser la frontière pour aller commercer. Il s’agit de produits alimentaires (riz, haricots rouges, farine, café), mais également de ce que l’on nomme le commerce des « pèpès » (c'est-à-dire des vêtements, sacs, chaussures d’occasions). Une fois le marché fini, les Haïtiens doivent retraverser la frontière dans les plus brefs délais. Beaucoup se sont établis dans les villes frontalières haïtiennes (Ouanaminthe, Balladère, Malpasse, Anse-à-Pitre), alors que d'autres retournent à la capitale de Port-au Prince afin de revendre les produits achetés à un prix plus élevé. Dans les deux cas, on constate que cette activité économique est indispensable à la population haïtienne, car elle offre des possibilités de travail inestimables, mais également, car les prix des produits quotidiens sont en moyenne 25 % moins chère que dans le commerce traditionnel. Aussi, les opportunités inédites de travail présentes à la frontière du côté dominicain vont faire de cette région « la terre promise » pour de nombreux Haïtiens qui pensent qu’en traversant la frontière leur vie sera bouleversée. 

L’intensification des interactions suscite un fort enthousiasme pour la région frontalière, à tel point que celle-ci, jusqu’alors reléguée à une importance périphérique, devient le lieu de commerce le plus rentable de l’île. Cette période marque un renouveau dans les relations dominicano-haïtiennes. Cependant, notons que l’ouverture économique est surtout profitable à la République Dominicaine. En effet, le premier élément frappant de l’inégalité commerciale entre les deux pays est d'ordre territorial et infrastructurel. Cela s’illustre parfaitement à travers l’exemple des marchés frontaliers, puisque ces derniers sont exclusivement présents du côté dominicain de la frontière. Un autre élément à prendre en compte est la disparité des économies respectives des deux pays. En effet, ces dernières sont fortement inégales, et pourtant, elles sont placées au même niveau dans les rapports commerciaux. Cela entraîne un désavantage insurmontable pour Haïti. En 2014, le Centre de facilitation des Investissements (CFI) d’Haïti enregistre « un déficit de la balance commerciale avec la République Dominicaine estimé à 1,419 milliard de dollars » . Ce déséquilibre favorise la désorganisation du commerce qui se manifeste alors à travers la croissance spectaculaire du commerce informel.  

Mais au XXIe siècle, un autre élément vient catalyser la migration haïtienne en République Dominicaine, il s’agit de la dégradation de l’environnement. Véritable fléau en République d’Haïti, il est intrinsèquement lié au processus de déforestation intensive qui débute en 1825 dans le pays.

Ce phénomène est dû à de nombreux facteurs, dont le plus significatif est celui de la production de bois. En effet, le manque d’énergie électrique dans le pays, entremêlé à une croissance toujours plus accrue de la démographie, a entraîné une déforestation intense, dont la finalité est de générer du charbon de bois. Selon la Banque Mondiale, 80 % de la population haïtienne aurait encore recours au charbon pour cuire ces aliments. Ainsi, la disparition quasi totale de la couverture végétale favorise l’apparition de sécheresses répétées et contribue à l’inaccessibilité de l’eau, car lorsqu’une zone forestière et montagneuse est déboisée, l’eau de la pluie ne pénètre plus dans le sol, mais au contraire ruisselle à sa surface (écoulement des terres). De facto, la végétation ne peut plus être alimentée (sécheresse) et les nappes phréatiques ne peuvent plus se régénérer (manque d’eau et pollution de l’eau).

 

Photo n°1 : La déforestation à Haïti Agrandir
Source : photo de Eladio Fernandez s’intitulant «  Les collines dans arbres du Massif De La Hotte, Haïti » (traduction française).
Adresse URL : https://earther.gizmodo.com/has-haiti-lost-nearly-all-of-its-forest-its-complicate-1830108360


S’ajoute à la dégradation de l’environnement, le risque de catastrophes naturelles. L’Hispaniola, est en effet particulièrement exposée aux risques de catastrophes naturelles. Cependant, Haïti, de par sa situation économique, sa situation environnementale, son manque d’infrastructures viables et de par son manque de préparation, est bien plus vulnérable que la République Dominicaine. Cela s'est vérifié lors du séisme de 2010 à Haiti, qui a provoqué la mort de plus de 300 000 personnes (chiffre discutable dû au manque de données) et au moins autant de blessés. Le bilan est catastrophique et provoque la « désarticulation sociale » du pays. Ceux qu’on appelle désormais les « migrants environnementaux » cherchent à fuir par tous les moyens cette situation apocalyptique. Face à ces scènes dignes d’un film d’horreur, la République Dominicaine ne peut rester insensible. Ce fût le premier pays (de par sa proximité) à mobiliser les ressources nécessaires pour venir en aide au peuple haïtien. Cela se traduit par des récoltes de don, par l’ouverture de la frontière afin de pouvoir permettre au plus grand nombre d’avoir accès aux soins hospitaliers, mais également à travers d’innombrables mouvements de solidarité (exemple : beaucoup de médecins bénévoles se sont rendu sur le territoire haïtien pendant plusieurs mois afin de venir en aide à la population).  

3. La crise migratoire récente (2010 - 2019)  

Cet épisode tragique de l'histoire de l’île Hispaniola provoque des milliers de migrations internes et internationales - notamment vers l’Amérique Latine (le Chili) ou vers l’Amérique du Nord (Canada) - mais aussi et surtout l’accroissement des migrations vers la République Dominicaine. En effet, cette dernière apparaît alors comme LA solution pour des milliers de migrants en quête de travail, de santé, d’éducation et qui n’ont plus rien à perdre. Ainsi, le séisme de 2010 propulse le problème de la migration haïtienne en République Dominicaine au rang de crise migratoire d’ampleur exceptionnelle. La classe moyenne haïtienne - comme les entrepreneurs ou les étudiant - va également être séduite par les opportunités qu’offre le pays voisin. Très vite des millions d’Haïtiens vont tenter de changer leur destin, si bien que les villes frontalières vont être submergées par une croissance démographique inédite. Bien que les données concernant l’immigration haïtienne en République Dominicaine soient impossibles à déterminer avec exactitude, le gouvernement dominicain estime que depuis le séisme de 2010, l’immigration haïtienne a été multipliée par deux. Cela provoque deux conséquences majeures. La première est l’irrégularité des migrants qui représente une difficulté capitale puisqu’elle engendre des situations d’asservissements de la population. La deuxième conséquence est le coût financier de la crise migratoire pour la République Dominicaine. Cela s’illustre parfaitement à travers l’exemple de la scolarisation des enfants haïtiens dans les écoles de la zone frontalières et d’avantages encore à travers l’exemple de l’accès à la santé.

En effet, le manque d’intérêt du gouvernement haïtien pour sa population, ainsi que son inefficacité dans la mise en place de politiques publiques se répercute directement sur la République Dominicaine. Par exemple, en 2013, la République Dominicaine avait investi 5,300 millions RD$ (soit 103 409.53 $ américains) dans les soins destinés à la population haïtienne. En majeure partie, il s’agit de femmes qui traversent la frontière dans le but d’accoucher dans des conditions plus dignes. L’accès à la santé et à la Sécurité Sociale est bien souvent une source de stress pour les migrants, d'autant plus lorsque ces personnes sont en situation irrégulière (barrière de la langue, risque d’être dénoncé à la police). Selon une enquête de l’Oficina Nacional de Estadística de la République Dominicaine datant de 2012, 91,8 % des migrants haïtiens en République Dominicaine ne sont pas en mesure de posséder une sécurité sociale. On comprend alors la charge économique que cela représente pour la RD ; car malgré des taux de croissance économiques très élevés sur ces dix dernières années, la République Dominicaine possède le taux de croissance économique le plus élevé de toute l’Amérique latine sur ces dix dernières années, avec par exemple un taux de croissance enregistré à 7% en 2015, il ne faut pas perdre de vue le fait que la République Dominicaine reste un pays en voie de consolidation économique. En comparaison avec Haïti, la situation de la République Dominicaine semble être un eldorado, bien qu'en réalité, la redistribution des richesses est très inégale, les disparités entre classe sociales sont colossales - Il y a, à la fois un nombre incalculable de voitures de luxe qui circulent dans la capitale et à la fois un nombre incalculable de personnes qui n’ont pas accès à l’eau et à l’électricité pendant toute la journée - et la dette publique et l’inflation ne cessent de croître. Cela engendre une multitude de problématiques internes dont les plus significatives sont la misère, le chômage et l’insécurité. Autrement dit, la République Dominicaine n’est pas en mesure d’accueillir économiquement un tel flux de population.

Cette situation a également des répercussions néfastes sur les relations dominicano-haïtiennes puisqu’elle envenime des rapports déjà compliqués; et les Haïtiens « bon à rien » à qui on avait demandé de venir faire le « sale travail », deviennent dans l’imaginaire collectif dominicain des « voleurs de travail et d’argent ». Ils sont alors rendus coupables de tous les maux, et se transforment en de véritables boucs émissaires. C’est ici une caractéristique « typique » d’un problème de « crise migratoire » qui peut, malheureusement aujourd’hui, s’observer dans de nombreux pays à commencer par le nôtre. Seulement, il me semble important de rappeler qu’une crise migratoire émane inévitablement d’un problème économique grave, généré par des conséquences politiques ou environnementales désastreuses, et qu'aucun citoyen ne quitte volontairement son pays dans ces conditions, mais au contraire, il y est contraint pour des raisons de survie.

 

Bibliographie indicative :

 

Rapports du CFI, « Les flux commerciaux entre Haïti et la République Dominicaine », Port-au-Prince, le 25 Mars 2016, page 8.Ces données sont à prendre avec précaution, car il est très difficile d’obtenir des données

 

quantitatives exactes sur la zone étudiée. Elles sont, cependant, significatives quant à la gravité du déséquilibre commercial

 

 

Fadjah Durandisse, « La degradación ambiental de Haití tiene un impacto devastador en futuro nación caribeña », Hoy digital, 6 août 2019. Adresse URL : https://hoy.com.do/1949017-2/)

 

Lisania Batista, « el estado invierte en la salud de haitianos RD$ 5,300 millions », Diario Libre, 2013)

Auteur : Caroline Chappé

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