ESPACES MARITIMES
 
Politiques régionales de la mer


Interdépendances, solidarités, coopérations

Un faisceau de facteurs convergents a contribué depuis les années 1980 à donner à la mer une toute nouvelle importance pour la région. La co-responsabilité instaurée sur l'ensemble de son étendue par le droit international (convention de Montego Bay, mise en place des ZEE, etc.), les enjeux multinationaux et transnationaux de toute nature qui la concernent militent fortement en faveur d'une approche globale, concertée de ses problèmes… mais la mise en pratique se heurte à bien des difficultés.

1. Coopérer : une nécessité difficile à mettre en œuvre

1.1. D'évidentes interdépendances

Les opportunités et les besoins de coopérer ne manquent pas entre États et territoires riverains dans de multiples domaines touchant à la mer : la région gagnerait à se doter d'un réseau de dessertes maritimes (passagers et marchandises) performant et cohérent, d'une politique globale de préservation des ressources halieutiques à moyen et long terme, de plans de prévention et de lutte contre les pollutions de toutes origines. Tous sont aussi concernés, à des degrés divers, par la prévision et la prévention des risques naturels liés à la mer (systèmes d'alerte intégrés, mutualisation des moyens d'intervention), par la pose sur les fonds marins de câbles de communications à haut débit, d'oléoducs et gazoducs, par la lutte contre les trafics transfrontaliers illégaux (migrants clandestins, marchandises de contrebande, armes, drogue) qui transitent par l'étendue marine et contre la piraterie qui, sans atteindre les niveaux de l'Océan Indien, reste préoccupante au large de la Colombie, du Venezuela et de la côte sud d'Haïti.

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Source : IMB (International Maritime Bureau)

 

Autant de problèmes qui, pour être correctement pris en compte, exigent au moins une coordination, voire une collaboration entre les pays de la zone, tant les espaces maritimes nationaux sont nombreux, petits et imbriqués. Mais les obstacles ne manquent pas.

1.2. De nombreux freins

Le premier (le principal) dépasse largement le cadre des affaires maritimes : il tient à l'histoire coloniale qui a durablement morcelé la région en entités étrangères les unes aux autres, liées de manière quasi exclusive à leurs métropoles respectives, sans traditions historiques de collaboration, bien au contraire. La diversité des régimes et statuts politiques actuels (territoires indépendants et sous tutelle), la multiplicité des cultures, des langues, des législations, le poids des habitudes, les écarts considérables de puissance, de « poids » territorial, démographique et économique, les faibles moyens de beaucoup d'États, ne facilitent pas non plus l'établissement de liens de solidarité égalitaires.

Plus spécifiquement, l'inégale attention que portent aux questions maritimes les divers États et territoires est un obstacle à des politiques intégrées dans le domaine maritime. La sensibilité aux problèmes de la mer, l'intimité avec la mer, son importance dans les préoccupations, ne peuvent être équivalentes dans les petites îles qui y baignent et dont elle constitue l'horizon obsédant, les grandes îles où elle est déjà moins prégnante, moins omniprésente et les États isthmiques et continentaux dont les centres de gravité économiques et démographiques ne sont pas caraïbes, dont les ambitions géopolitiques et géostratégiques, les centres d'intérêt, se partagent entre plusieurs espaces (océan Pacifique, voisins continentaux…).

La disparité des situations régionales vis-à-vis de certains problèmes, l'inégale exposition à certains risques, sont source d'inégale motivation à y porter remède. On le voit bien pour l'élévation du niveau de la mer : les petites îles et quelques territoires côtiers de basse altitude (Guyanes) de la région font bloc dans AOSIS1 avec leurs homologues du Pacifique et de l'océan Indien (et non avec leurs voisins régionaux). Ils cherchent à faire entendre leur voix et à parler d'une seule voix au niveau mondial pour obtenir que soit renforcée la lutte contre le réchauffement climatique. Pour tous, l'enjeu est d'importance car l'essentiel de leur population est concentré sur les basses terres côtières ; pour les îles les plus basses, les Bahamas ou Barbuda par exemple, c'est même une question de survie. Partout la montée des eaux fait craindre, à assez brève échéance, des flux de « réfugiés climatiques » ... mais ils ont du mal à entraîner derrière eux les pays continentaux dont la population est concentrée loin des côtes et qui se sentent moins concernés.

Un troisième obstacle tient aux rivalités et concurrences entre États, que ce soit pour le tourisme où chacun cherche à drainer pour son compte les flux et les escales de paquebots de croisière. Dans le domaine des liaisons maritimes et des équipements portuaires les intérêts nationaux ou ceux des transporteurs l'emportent également sur une perception globale de la région.

La faiblesse des moyens disponibles constitue aussi une importante entrave : la plupart des États n'ont que de faibles capacités financières, techniques, humaines, militaires, et ne sont guère en mesure de mener des politiques ambitieuses, de faire respecter les obligations et interdictions qu'ils édictent. Il ne faut pas chercher plus loin la cause majeure de l'indigence de nombreuses politiques et coopérations. Dans bien des cas, la région doit s'en remettre à des réseaux, des équipements, des initiatives extra régionaux : la prévision des cyclones est le fait d'organismes mondiaux ou étatsuniens. Les réseaux de transport maritime, le choix des ports de transfert (d'éclatement), les circuits des navires de croisières obéissent à des logiques d'entreprises dont les centres de décision sont extérieurs à la région et ne prennent guère en compte les intérêts et les besoins régionaux.

Les choses se compliquent davantage encore quand les intérêts des uns et des autres ne coïncident pas. Dans leur lutte contre les trafics de drogue qui transitent par voie maritime, les États-Unis ne rencontrent pas dans la région d'adhésion unanime : pour certains États, admettre un droit de poursuite des trafiquants par des navires de guerre étrangers dans leurs eaux, c'est renoncer à une parcelle de souveraineté… sans parler des considérables enjeux financiers liés à la drogue qui gangrènent parfois jusqu'aux plus hautes sphères politiques. Les mêmes divergences se retrouvent dans la protection des baleines et des dauphins (cf. plus bas).

Pour toutes ces raisons, la mise en place de politiques régionales de la mer n'est ni évidente ni aisée. Certains domaines s'y prêtent mieux que d'autres.

 

2. L'environnement : un domaine pilote de politique régionale

2.1. Un milieu fragile et dangereux

La mer des Caraïbes, plus ouverte sur l'océan que la Méditerranée eurafricaine, ne porte sur ses rives ni charge humaine exceptionnelle ni activités industrielles massives (sauf ponctuellement). Pourtant, l'exigüité de la plupart des territoires qui la bordent et le caractère insulaire de beaucoup, en font un milieu vulnérable et écologiquement sensible. L'importance économique de la mer (le tourisme est la 1re activité régionale), le caractère « porteur » et relativement consensuel des préoccupations environnementales concourent aussi à leur donner une résonance forte. Ils favorisent la prise de conscience de l'impérieuse obligation de préserver la mer, les mangroves, le littoral, les récifs coralliens et leur biodiversité « pour l'intérêt et l'agrément »2 des peuples de la région.

La mer est d'abord sous la menace de multiples pollutions d'origine marine : 1 500 bateaux de pêche la sillonnent en permanence, plus de 60 000 bateaux de commerce la fréquentent chaque année, générant plus de 80 000 tonnes d'ordures. Le trafic pétrolier considérable à destination des raffineries géantes du Texas, de Louisiane ou de la côte Est des États-Unis l'expose aux risques d'accidents et de dégazages illégaux auxquels il faut y ajouter ceux liés à l'exploitation offshore des hydrocarbures tant au Mexique qu'aux États-Unis et au Venezuela (lagune de Maracaïbo). Les cargaisons de produits dangereux qui traversent la région font aussi planer la menace d'un accident ou d'un acte terroriste, par exemple les déchets nucléaires japonais transitant par le canal de Panamá vers la France (usine de retraitement de La Hague) et les déchets retraités en sens inverse.

Les domaines maritime et littoral sont également sujets à des risques liés aux populations et activités côtières ou même plus lointaines : rejets d'eaux non épurées ou insuffisamment épurées, de métaux lourds (plomb, cuivre), déversements dans les cours d'eau d'ordures de toutes sortes issues de décharges littorales à ciel ouvert ou de produits phytosanitaires utilisés en agriculture. Ainsi le delta du Mississipi et des zones adjacentes de plus en plus vastes du golfe du Mexique (près de 25 000 km2 au total), sont touchés par le phénomène de dead zone ou zone morte.

La dead zone du golfe du Mississippi

Le phénomène de « dead zone » est provoqué par l'excès d'azote et de phosphore dans le fleuve Mississippi. Ces excès favorisent la prolifération d'algues qui se décomposent en mourant et recouvrent les fonds marins. Cette décomposition absorbe tout l'oxygène disponible, empêchant ainsi la présence de tout être vivant. Ce phénomène est la conséquence de l'accroissement des surfaces de maïs cultivées à des fins énergétiques (+ de 35 millions d'hectares). L'engouement des États-Unis pour les agrocarburants a contribué à une augmentation de l'utilisation d'engrais contenant azote et phosphore... Selon certains experts américains ce phénomène de zone morte s'aggravera certainement dans le futur avec le changement climatique : l'augmentation de la température de l'eau accélérant la dégradation des algues et la redistribution des pluies modifiant le débit des fleuves.

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Tout aussi dangereux est le déversement massif dans la mer de particules terrigènes : les dépôts de vases sur le fond marin étouffent les formations coralliennes, la turbidité de l'eau fait disparaître, faute de lumière, toute vie aquatique. La déforestation et l'urbanisation, activant le ruissellement et l'érosion, intensifient ces phénomènes. Ce n'est pas un hasard si le problème prend des dimensions redoutables à Haïti, mais rares sont les pays épargnés et en Martinique par exemple, les charges alluvionnaires de la Lézarde, de la Rivière-Salée et de quelques autres cours d'eau contribuent à l'envasement rapide du fond de la baie de Fort-de-France.

Les littoraux de la Caraïbe souffrent de dégradations inquiétantes, résultat des agressions d'origine naturelle et anthropique qu'ils subissent. L'érosion des plages est devenue un problème général. Elles reculent partout, parfois au rythme de plusieurs mètres par an (4 m en moyenne à Barbuda, 1 à 3 m à la Dominique). Le phénomène s'accélère brutalement lors du passage des cyclones et des houles cycloniques : en 1995 la plage de Coco Point (Barbuda) a reculé de 25 m en une demi-journée, suite à l'ouragan Luis ; à la Grenade les plages les plus fréquentées par les touristes ont été détruites en 1999 par l'ouragan Lenny avec des conséquences économiques très graves (Desse M. et Saffache P., 2005). À la Dominique beaucoup d'anses sableuses sont gravement détériorées par les effets des cyclones conjugués à des prélèvements excessifs de matériaux de construction..

Les symptômes inquiétants d'atteintes aux écosystèmes se multiplient : diverses espèces marines, menacées par les pollutions ou la disparition de leur habitat, sont en voie de disparition comme le phoque moine ou le lamantin des Caraïbes dont il ne reste plus que quelques spécimens dispersés. Toutes les espèces de tortues sont menacées par la chasse, le braconnage, le chalutage et la « pêche fantôme »3. D'autres espèces animales et végétales sont exploitées sans véritable contrôle et se raréfient : coraux, coquillages, crustacés, poissons et mammifères marins, palétuviers (partout les mangroves reculent). En Guyane, la surexploitation est évidente : en 10 ans, la taille des vivaneaux pêchés a diminué de plus de 10 cm, leur poids est passé de 2 kg à 800 g et l'âge moyen des captures est inférieur à l'âge de 1re maturité. Le cas du lambi (strombus gigas) est aussi symptomatique.

La CITES suspend le commerce du Lambi

Réparti dans toutes les Caraïbes de la Floride à la côte nord de l'Amérique du Sud, le lambi vit dans les eaux de 36 pays et territoires dépendants de la région, c'est-à-dire quasiment tous. L'espèce préfère les fonds sableux et peu profonds mais on peut la trouver jusqu'à 100 m de fond.

Dès les années 1990, de nombreux indices inquiétants ont conduit la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (CITES) à intervenir pour protéger cette ressource. Elle envisage alors des mesures énergiques pour réguler la pêche et promouvoir le rétablissement de l'espèce. Dès 1992 un permis CITES est indispensable pour toute exportation.

Suite aux recommandations de la CITES deux des principaux États de l'aire de répartition du lambi (la République dominicaine et le Honduras) ont accepté de ne plus autoriser l'exportation de lambis à compter du 29 septembre 2003. Haïti par contre n'a pas mis en œuvre les mêmes mesures, la CITES a donc demandé le boycott des lambis haïtiens.

Deux causes convergentes sont responsables de cette situation : depuis quelques décennies, la pêche au lambi a changé d'échelle et pris une forme commerciale pour répondre à la demande touristique et internationale. Elle est devenue l'une des plus importantes ressources de pêche de la Caraïbe, générant des chiffres d'affaires considérables et de nombreux emplois. Il s'y est ajouté une dégradation de l'habitat de l'espèce, en particulier la perte d'importantes surfaces de prairies marines en eau peu profonde, proches du rivage. Devant le très rapide effondrement des stocks, il a fallu fermer totalement ou temporairement la pêche dans de nombreux pays : Antilles néerlandaises, Colombie, Cuba, Floride, îles Vierges américaines, Mexique, Venezuela. La situation reste très fragile.

D'après : http://www.mediaterre.org/caraibes/, 2009

 

Menacée par divers dangers, la mer peut être aussi source de dangers : elle génère et véhicule les ouragans et leurs phénomènes associés (houles cycloniques) ; les tsunamis, certes rares et d'ampleur habituellement limitée, n'en sont potentiellement que plus dangereux, faute de mémoire collective (les dernières catastrophes destructrices ont eu lieu aux îles San Blas à Panamá, en 1882, à Porto Rico en 1918 et en République dominicaine en 1946) ; enfin la région, quoique inégalement, est concernée par l'élévation du niveau des mers.

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2.2. Un riche arsenal juridique et institutionnel

Depuis les années 1980, la région s'est dotée d'un puissant arsenal juridique et institutionnel visant à préserver et valoriser le milieu marin. Dès 1983, dans le cadre du PNUE (Programme des Nations Unies pour l'Environnement) est signé un « Accord Régional sur la Protection de l'Environnement Marin », appelé aussi « convention de Carthagène », le 1er du genre au monde, complété par 3 protocoles spécialisés (annexe a). Ces textes « cadres », très complets et ambitieux, sont les seuls qui concernent spécifiquement l'ensemble du domaine maritime Caraïbe.

La Convention de Carthagène a permis d'engager des coopérations internationales, par exemple avec les programmes RAMSAR4 sur la protection des zones humides ou encore avec l'Initiative Internationale pour les Récifs Coralliens (ICRI : International Coral Reef Initiative). Les pays de la Caraïbe sont aussi parties prenantes de la Convention sur le commerce des espèces en danger (CITES), de la Convention sur la Conservation des espèces migratoires (CMS), de la Convention de Bâle sur le transport des déchets dangereux, de la Convention sur la biodiversité. Toutes ces conventions préconisent et initient une coopération dans des domaines très variés qui vont de la recherche à la collecte de données, l'information du public, l'implication de la société civile, la mise en place de mesures de protection et d'évaluation.

Sous l'égide de l'AEC a été signée en décembre 2001 une Convention sur la Zone de Tourisme Durable de la Caraïbe (ZTDC). Bien que non spécifiquement « maritime », une grande partie concerne la mer et les littoraux, considérés comme un tout. Il s'agit là encore de favoriser « un développement touristique soucieux de préserver les équilibres socio-économiques et environnementaux ». Une grande originalité du projet réside dans la volonté de promouvoir une approche régionale intégrée du tourisme : réflexion sur un label Caraïbe de tourisme durable, projet de packages de destinations (tourisme multi-destinations), en totale rupture avec le chacun pour soi qui prévaut aujourd'hui, par exemple Guadeloupe-Dominique ou Trinidad-Venezuela.

Les intentions et les outils ne manquent pas.. quel bilan peut-on dresser aujourd'hui des réalisations concrètes ?

 

2.3. Des avancées indéniables…

Les grands accords internationaux ont eu un rôle positif pour encourager les gouvernements de la zone à protéger l'environnement. Les espaces marins protégés se sont multipliés, on en compte aujourd'hui plus de 300 (dont 80 % ont moins de 20 ans) dans tous les États, même les plus petits et les plus pauvres.

Le modèle des îles Vierges américaines

Elles considèrent de longue date le milieu marin comme leur atout économique principal et ont joué un rôle précurseur. Elles ont mené avec détermination et dans la durée une politique globale visant à assurer la pureté de l'eau, la propreté des fonds, l'intégrité des récifs coralliens et la richesse des formes de vie qu'ils abritent. La chasse sous-marine y est proscrite, les rejets des embarcations sévèrement limités, le mouillage des navires de plaisance règlementé pour éviter la destruction des fonds coralliens par les chaînes et les ancres. En outre, et c'est essentiel, des moyens de contrôle efficaces ont été mis en place.

 

Les initiatives bilatérales, infrarégionales et régionales foisonnent. Barbade apporte à Sainte-Lucie son expertise dans la protection du littoral. Des programmes de conservation ont été lancés pour les tortues de mer (11 États participants) et pour le lamantin des Caraïbes (trichechus manatus), le plus grand sirénidé actuellement vivant (5 États participants). Un réseau régional d'alerte anti tsunamis est en voie d'élaboration, il devrait être opérationnel dans les prochaines années et s'intégrer à un réseau mondial. Autant de réalisations qui sont loin d'être négligeables et qui témoignent des progrès rapides de la sensibilité écologique marine dans la région.

 

2.4. ... Mais beaucoup reste à faire

L'écart reste important entre les principes énoncés, la volonté affichée, et leur concrétisation. Un certain nombre d'États n'ont pas encore signé ou ratifié la onvention de Carthagène5 et ses protocoles (annexes b-c-d) : remarquons d'ailleurs que leur nombre est très variable suivant les cas. Le démarrage effectif de la ZTDC semble assez laborieux. Faut-il y voir un manque de sensibilité de certains pays à des problèmes considérés comme non prioritaires ? Une volonté de ne pas se « lier les mains » par des textes contraignants qui pourraient porter atteinte aux intérêts nationaux ? Les raisons sont diverses mais ces non-ratifications, surtout par de grands États, fragilisent bien sûr l'impact de ces conventions.

Seuls 30 % des espaces marins théoriquement protégés seraient correctement gérés, le rythme des créations étant plus rapide que la mise en place des moyens correspondants. Dans le domaine de la pêche, tout est à faire concernant l'harmonisation des règlementations (dimensions des mailles des filets, périodes d'interdiction) ou encore l'établissement de quotas pour les espèces migratoires surexploitées , pas de position commune non plus concernant la chasse à la baleine.

Un sanctuaire pour les baleines dans la Caraïbe ?

Lors de la réunion de la Commission Baleinière Internationale à Saint-Kitts (mai 2006), la France a annoncé la création d'un sanctuaire pour ces espèces dans les ZEE de ses îles antillaises6. Cette initiative pour être pleinement efficace doit porter sur un espace suffisamment vaste et nécessite donc impérativement la participation des États voisins. Ce n'est pas chose acquise car certains d'entre eux pratiquent traditionnellement (mais très modestement) cette chasse, ce qui leur vaut leur siège à la CBI, mais surtout parce que le Japon, principal tenant de la fin du moratoire de la chasse à la baleine, effectue de notoriété publique de fortes pressions sur certains petits États, mettant en balance ses aides financières avec leurs votes...

 

Le bilan d'ensemble apparaît donc mitigé et bien des domaines restent en friches… La place éminente que l'on reconnaît aujourd'hui unanimement à la mer n'allait pas de soi il y a quelques décennies à peine. Jusqu'aux années 1980, la mer restait un espace marginal tant dans les représentations que dans les préoccupations de sociétés post-coloniales, avant tout terriennes et agricoles (même dans les îles), qui se sentaient peu concernées par ses enjeux. Durant ces dernières décennies s'est opérée, inégalement et progressivement mais finalement assez rapidement, une profonde révolution mentale, un spectaculaire retournement dans la manière dont les peuples riverains de la Caraïbe appréhendent « leur » mer et leurs relations avec elle.

Transgressant les facteurs de morcellement et de division physiques, culturels, économiques et autres de la région, la mer a pris progressivement sa place dans l'imaginaire collectif comme le plus petit commun dénominateur aux divers États et territoires de la région, comme « patrimoine commun des peuples de la Caraïbe », comme enjeu régional qui les concerne tous, comme point d'ancrage commode et incontournable d'une identité régionale. Ainsi se rejoignent enjeux économiques et vision politique. Les politiques régionales liées à la mer sont autant d'occasions de rendre plus concrètement perceptible et sensible le destin collectif de la « communauté Caraïbe ».

À l'aune d'un contexte de départ peu favorable, les avancées de ces dernières décennies apparaissent remarquables mais ne peuvent occulter la persistance de nombreuses lacunes et insuffisances. La prise de conscience semble bien plus avancée dans les îles, surtout les petites, que dans les pays continentaux, les intérêts nationaux prennent encore souvent le pas sur les solidarités. Il reste beaucoup d'énergie de conviction à déployer pour que la mer puisse jouer pleinement le rôle fédérateur de « ciment régional », de moteur de la dynamique et du développement régionaux, qui lui revient légitimement.

 

Annexes : La Convention de Carthagène et ses Protocoles

a) Les principales dispositions de la Convention de Carthagène

La Convention pour la Protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes (Wider Caribbean Region - WCR), dite Convention de Carthagène a été signée le 24 mars 1983. Elle est le seul traité à but environnemental qui implique toute la région. Elle rassemble actuellement 23 États sur les 28 potentiels. Complétée par trois protocoles spécialisés concernant les pollutions par les hydrocarbures (auxquels la région est particulièrement exposée, voir plus haut), la pollution liée aux activités terrestres et la protection de la vie sauvage. Ces textes « cadres », très complets et ambitieux, sont les seuls qui concernent spécifiquement l'ensemble du domaine maritime caraïbe. Elle a été ratifiée par la France le 13 novembre 1985 et est entrée en vigueur lors de la 9e ratification le 11 octobre 1986. Un secrétariat situé à Kingston à la Jamaïque et placé sous l'autorité du PNUE a été créé en 1986.

Les signataires rappellent « la valeur économique et sociale du milieu marin, et le devoir de le protéger ». Ils veulent prendre en compte « les caractéristiques hydrographiques et écologiques spéciales de la région, ainsi que sa vulnérabilité à la pollution » et déplorent que « l'environnement ne soit pas assez pris en compte dans le processus de développement ». ils déclinent ensuite les grands objectifs à atteindre dont « la protection des écosystèmes du milieu marin ». Ils estiment indispensable « de coopérer entre eux et avec les organisations internationales compétentes » et s'achèvent par des propositions opérationnelles d'actions à mener au plan national et régional.

Cette Convention s'insère dans un plan de protection de l'environnement marin au niveau mondial (PNUE : Programme des Nations Unies pour l'Environnement). Elle constitue un engagement légal de ses membres à protéger, développer et gérer de manière individuelle et conjointe leurs ressources côtières et marines (espèces, espaces, écosystèmes).
Elle a pour particularités de prendre également en compte les zones terrestres associées, y compris les bassins versants et de viser autant la protection que le développement. Elle est à bien des égards le précurseur de ce que la communauté internationale a défendu par la suite au niveau mondial. La Convention insiste en particulier sur la protection des espèces rares et menacées et demande la mise en place de zones protégées. À la différence des conventions d'environnement mondial, les conventions régionales sont transversales et couvrent un large éventail de thèmes, depuis les problèmes de pollution jusqu'à la conservation des espèces et des écosystèmes marins.

Une action déjà importante a été réalisée et engagée dans le cadre du protocole SPAW 1990 relatif aux aires et à la vie sauvage spécialement protégées, signé en 1990 qui offre un support aux gouvernements dans différents domaines :

• Constitution d'une base de données sur les 300 zones maritimes protégées de la région en collaboration avec le Fish and Wildlife Service américain, le Parc national de Biscayne et des ONG. Elle doit permettre aux gestionnaires des zones d'échanger des informations et de collaborer afin de mieux résoudre les difficultés auxquelles ils peuvent être confrontés ;

• Inventaire des espèces à protéger (flore et faune marine et littorale) ;

• Mise en place du Centre Régional de Guadeloupe ;

• Publication d'un guide pour les gestionnaires des zones protégées et les organismes de protection pour collecter les fonds ;

• Organisation de séminaires de formation de formateurs sur les problèmes de gestion des zones protégées ;

• Mise en œuvre d'un programme de conservation des tortues de mer dans 11 États et du West Indian Mantee (trichechus manatus = lamantin des Caraïbes) dans 5 États ;

• Surveillance, gestion et conservation des écosystèmes coralliens en liaison avec l'ICRI (Initiative internationale pour les récifs coralliens) et le réseau international d'action pour les récifs coralliens (ICRAN) ;

• Promotion de pratiques de bonne gestion et formation pour un tourisme durable en zone littorale.

 

Les signataires des protocoles spécialisés de la Convention de Carthagène

b) Protocole SPAW sur la vie sauvage et les espaces spécialement protégés

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c) Protocole sur les pollutions d'origine continentale

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d) Protocole sur les pollutions aux hydrocarbures

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1 AOSIS (Alliance of Small Island States and low-lying coastal states) : Alliance des petits États insulaires et des pays côtiers de faible altitude. Coalition d'États particulièrement vulnérables à une hausse du niveau de la mer et qui partagent des positions communes sur les changements climatiques et les mesures à prendre à long terme. Il regroupe 43 États et observateurs de toutes les régions du monde et a joué un rôle essentiel dans l'élaboration du protocole de Kyoto.

2 Convention de Cartagena de Indias, 24 mars 1983, dans l'esprit des recommandations de la Convention de Montégo Bay (1982).

3 On appelle ainsi la pêche que continuent à faire les filets perdus ou abandonnés, piégeant durant des mois voire des années aussi bien poissons que mammifères marins et oiseaux de mer.

4 Lancé à Ramsar en Iran en 1971.

5 États n'ayant pas signé ou ratifié : Bahamas, Guyana, Haïti, Honduras, Saint-Kitts-et Nevis, Suriname.

6 Après ceux de Polynésie, de Nouvelle-Calédonie et de Méditerranée

Auteur : Patrice Roth

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