POPULATION
 
Génocide, immigration, traite
Le grand dérangement des populations de la Caraïbe

 

Si le destin, l'organisation des territoires sont toujours dans le sillage de l'Histoire des sociétés qui les occupent, les espaces caraïbes plus que d'autres ressortissent de ces relations.

La dichotomie classique entre le continent et les îles se retrouve une nouvelle fois dans l'origine et la composition du peuplement actuel. La région présente en effet la particularité d'avoir conservé de manière très inégale son substrat humain originel.

Les populations qui occupent aujourd'hui l'archipel sont, à quelques exceptions près, allogènes et installées depuis moins de quatre siècles.

Au contraire, les pays de l'isthme américain et, dans une moindre mesure, la Colombie, ont encore un fort héritage de population amérindienne : les trait physiques et culturels précoloniaux y demeurent nettement visibles. La colonisation, l'occupation des terres, y furent pourtant aussi rudes que dans l'archipel ou dans le Sud des États-Unis (Floride) mais divers facteurs ont joué en faveur des Indiens de l'isthme américain : leur nombre important, dans un premier temps, face à des Européens qui ne se comptaient que par quelques dizaines de milliers (Cortés opéra la conquête de l'empire Inca avec moins de 1 000 hommes) ; la topographie montagneuse et l'immensité relative se montrèrent aussi propices à la création de "nids de défense" et à la subsistance de zones refuges dans les parties les moins accessibles. Le Yucatán, les montagnes du Chiapas au Mexique, les Andes de Colombie, le bassin de l'Orénoque au Venezuela restent le symbole de ces abris à l'écart des routes et des espaces de la colonisation, ou les populations indiennes ont pu subsister dans des conditions difficiles, empruntant parfois aux nouveaux arrivants ce qui leur était nécessaire. Enfin l'action précoce d'hommes tels Bartolomé de Las Casas, a aussi joué un rôle et a préservé les Amérindiens d'un génocide lié à la recherche forcenée de l'or, à l'exploitation des mines ou des terres.

L'archipel n'offrait pas ces conditions favorables. Ses populations numériquement faibles sur des espaces limités subirent une extermination quasi générale. Il n'en reste donc ça et là que quelques descendants forts métissés, les plus connus sont ceux de la Côte au Vent de la Dominique et les Garifunas qui, ayant fui l'archipel, s'installèrent sur les côtes du Costa Rica. Ces peuples aujourd'hui disparus ont cependant laissé de fortes empreintes, tant dans la toponymie (Caraïbe, manioc, roucou, etc.) que dans les vestiges archéologiques, dont l'inventaire est loin d'être achevé.

La colonisation blanche européenne, la traite des XVIIe-XVIIIe siècles et de la première partie du XIXe, l'immigration asiatique du sous-continent indien ou de l'Extrême-Orient après l'abolition de l'esclavage, ont chacune apporté leur touche à cette formidable substitution, aboutissant à mettre en place un peuplement entièrement nouveau. Phénomène plus total et radical qu'aux États-Unis, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Le contraste entre les "îles blanches" et les "îles noires" peuplées en majorité de descendants des populations esclaves, s'explique par une mise en valeur différente. L'intensité du métissage découle en effet de choix économiques et politiques différents selon les îles et les colonisateurs. À l'origine, l'immigration blanche a en général été privilégiée, ainsi à Cuba, Hispaniola ou à la Martinique. L'adaptation difficile de ces travailleurs blancs mais surtout l'introduction dans l'archipel par les juifs hollandais venus du Brésil du "système canne à sucre" donnèrent son essor à la Traite et à l'importation massive de populations africaines. C'est essentiellement à partir des années 1675 que se situe le tournant avec des ventes en accroissement exponentiel. Cette orientation économique - un système de mise en valeur des terroirs et d'organisation des sociétés - mais aussi l'attitude des colons blancs, plus enclins dans certaines îles que dans d'autres, à procréer en dehors de leur classe, de leur caste, expliquent les différences que l'on peut observer dans la composition ethnique actuelle des îles et leur métissage plus ou moins accentué... avec toutes les nuances. Au total c'est cet aspect qui reste prégnant aujourd'hui.

La culture emblématique de la canne à sucre a ainsi fondé au-delà des nuances entre les îles, une des facettes majeures de l'identité antillaise, laissant au passage des plaies pas toujours et mal cicatrisées.

Auteur : Patrice Roth

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