ENVIRONNEMENT
 
Extractivisme et néo-extractivisme

 

Depuis quelques années, la mer des Caraïbes occidentales est devenue une région stratégique, pour un consortium de compagnies pétrolières offshores basées à Londres, Houston ouParis qui considèrent cette région comme une "zone sous-exploitée" qui pourrait répondre à la demande en énergie des anciens centres impériaux, ceci dans un contexte de grande instabilité politique du Moyen-Orient, premier espace de production au monde. Face à la possibilité d'un conflit nucléaire avec l'Iran et face à l'interdiction et au moratoire sur la fracturation récente dans des villes comme New-York, et dans des pays comme le Royaume-Uni, la France ou l'Allemagne, les Caraïbes deviennent le lieu idéal pour continuer à expérimenter des techniques non conventionnelles de prospection et de production dans le but d'assurer la demande en gaz et en pétrole des pays capitalistes centraux.

Cette région a toujours été un lieu de rivalité entre les grandes puissances telles que les États-Unis, la Russie et la Chine, pour le contrôle du commerce et du transport maritime via le canal de Panama, ainsi que pour la construction de nouvelles routes utilisant les ports de la zone et des points d'ancrage en haute mer pour le stockage et le transbordement des marchandises. Ceci fait de la Caraïbe, un centre des flux de transport de marchandises du Nord au Sud et d' Est en Ouest.

Dans le contexte de la géopolitique de l'énergie, les Caraïbes deviennent aujourd'hui un centre d'expérimentation. Après plusieurs années de projets de recherche géologique, de la côte nord du Yucatan, du Guatemala, du Nicaragua et du Honduras à Trinidad et au Venezuela, ce groupement d'entreprises pétrolière ont trouvé un énorme potentiel dans les eaux des Caraïbes et ont décidé de mettre en place une stratégie d'investissement dans ces pays qui, comme en Colombie, offrent des conditions avantageuses pour investir. La côte et les mers du Venezuela, de Trinidad, de Colombie, du Honduras, du Nicaragua, du Mexique deviennent des lieux privilégiés pour l'exploration et l'exploitation pétrolière de ce consortium.

Plusieurs années de recherche ont conduit un groupe de partenaires multinationaux à identifier les domaines stratégiques de production de ces gisements non conventionnels. Cependant, les sites d'exploration et d'exploitation sont situés dans des réserves de biosphère, des aires marines protégées et des précieux écosystèmes de récifs, dans des écosystèmes insulaires et côtiers représentatifs de la biodiversité, où dans les lieux d'implantation de communautés locales. Plusieurs résistent face à l'indifférence des gouvernements tels que le Nicaragua, le Honduras, le Panama et la Colombie, qui de leur côté ratifient de grands contrats sans tenir compte des droits environnementaux et culturels de ces peuples et communautés.

La mer des Caraïbes est considérée comme la « frontière ultime de l'exploration », un territoire « en friche » exposé à la cupidité de ces autres « découvreurs » ou « dissimulateurs» de nouveaux mondes. Sans tenir compte du rôle des océans dans la régulation de la vie, et des dénonciations lors des sommets climatiques sur la disparition de plus de 50% des récifs coralliens, les gouvernements de ces pays poursuivent l'exploitation minière et pétrolière, continuent leurs avancées dans les  mangroves, les zones humides, les plages riches d'une impressionnante diversité d'oiseaux et de faune marine.

Les voix de certaines communautés en danger de déplacement ont alerté, comme ce fut le cas au Belize, au Costa Rica et dans l'archipel de San Andres et de Providence. Les impacts sont importants dans une région déjà sensible aux ouragans de plus en plus forts, aux séismes et aux inondations où vivent des populations autochtones, tels les pêcheurs artisanaux, les communautés afro-descendantes, les producteurs d'eau et les agriculteurs. Ils subissent les effets négatifs d'une géopolitique extractive qui poursuit plus avant son extension en dehors de son territoire et bouleverse les modes de vie, less relations culturelles et les références territoriales historiques des populations locales.

L'histoire environnementale des litiges sur le contrôle colonial interne et externe des Caraïbes, dans le contexte de la géopolitique extractive des matières premières pour le marché européen, a également été associée à la refonte des processus de colonisation des cultures, de l'esprit, des corps et de la nature. La géopolitique impériale du contrôle des Caraïbes occidentales naît de la traite négrière et de l'extractivisme minier et forestier, considérée comme la marque du colonisateur. Plus tard, lors des luttes pour l'indépendance, la colonisation devient la malédiction de l'indépendance. (Fannon, 1968).

"Le pouvoir colonial, avec un énorme pouvoir de contrainte, condamne à la régression les jeunes républiques nationales. En utilisant leur position stratégique, ces pays finiront par élaborer des accords les transformants en pays économiquement dépendants. Les puissances coloniales garderont intacts les circuits commerciaux colonialistes pour alimenter le budget des nations « indépendantes ». L'exploitation capitaliste et ses monopoles sur le bois, les mines, les pêches et maintenant le pétrole constitueront le pouvoir politique dans la région. (Fannon, 1968). 

Comprendre le colonialisme dans les Caraïbes, c'est appréhender le développement de l'extractivisme et sa relation à la nature à l'échelle planétaire. En tant que centre mondial d'extraction, de dépouillement des peuples et de contrôle géostratégique, les relations de production se structurent dans des processus d'accumulation incessante de capital. L'extraction, en ce sens, n'est pas seulement un mode de production, mais une forme de participation au développement du capitalisme dans un marché mondialisé ou le capital est concentré et centralisé.

Il est entendu que l'extractivisme joue un rôle majeur dans le développement de sociétés situées en périphérie et semi-périphérie du système mondial, dans lesquelles il contribue à générer et à maintenir une forme particulière de formation socio-économique. Cette modalité, cependant, n'est pas définie uniquement par sa forme. Au contraire, cette forme exprime son contenu destructeur des relations socio-environnementales précédentes - d'une manière qui rappelle cette économie de proie que le  géographe français Jean Brunhes décrit dans les possessions coloniales de son pays au début du XXe siècle - et exprime, aussi, son caractère de phénomène structurant du système mondial lui-même, auquel la formation a contribué depuis le XVIIIe siècle au moins. (Castro, 2016)

Le développement de l'économie de traite négrière, le modèle de plantation exclavagiste dans les Caraïbes, et les processus d'exploitation forestière et minière dans cette région (dans la Mosquitia coloniale par exemple) ont jeté les bases économiques des modèles de colonisation, lesquels donneront ensuite naissance à des économies enclavées à la fin du XIXe siècle (banane, bois précieux, or) qui formeront le modèle d'expansion capitaliste anglo-américain dans la région. La Jamaïque, l'une des plus importantes colonies anglaises avec Haïti et les petites Antilles, formera les îles à sucre dont les bénéfices participeront à l'accumulation financière des économies européennes aux XVIIe et XVIIIe siècles. À la fin du XIXe siècle, l'« âge de la banane » concerne le Costa Rica, le Guatemala et le Honduras sous l'impulsion de capitaux américains, devenant ainsi le modèle de l'économie enclavée dans la région. Les mouvements révolutionnaires depuis les années 1930 seront confrontés à cette forme de domination coloniale capitaliste hégémonique qui a été miose à l'épreuve lors de la Grande Dépression.

Dans un contexte de grandes tensions avec les États-Unis (la guerre des contre-guérillas des années 80 se déroule dans la Mosquitia), le gouvernement révolutionnaire du Nicaragua fera avancer un ambitieux projet d'autonomie régionale visant à la reconnaissance des droits socioculturels des différents groupes ethniques, tout en respectant l'intégrité de la Nation. Cela impliquera cependant, dans le contexte du néolibéralisme des années 1990 et du néo-extractivisme du début 2000, des difficultés pratiques dans la reconnaissance des compétences décisionnelles en matière de propriété foncière, d'accès aux ressources naturelles et de droits territoriaux des groupes ethniques, difficultés qui ne sont toujours pas résolues aujourd'hui.

1. La colonialité persistante de la nature latino-américaine. L'extractivisme, le capitalisme, le néocolonialisme : un débat récent

Alimonda, dans son ouvrage La Colonialité de la Nature (Alimonda, 2011) explique la persistance d'une dévastation qui détruit et désorganise les écosystèmes ainsi que la classification et la subaltération des populations indigènes. Pour introduire l'anthropocentrisme, les écrits sur l'origine de la modernité mettent en évidence le rôle important de la nature dans les espaces coloniaux (ressources minérales ou terres tropicales), la nature et les corps  sont considérés comme ressource dans la genèse de la modernité. La présence de cette colonialité de la nature tropicale associée à l'autosuffisance européenne à produire la modernité et le capitalisme s'explique par les interactions mondialisées entre l'Europe et ses colonies. Au lieu d’être un processus auto-généré, la modernité capitaliste est le résultat de transactions transcontinentales qui commencent par la conquête, la colonisation et le dépouillement des Amériques.

Dans cette perspective, la découverte par les grands Empires implique la production de dispositifs qui intériorisent et subordonnent ce qui est découvert à une colonisation et une exploitation. Il est important de noter que dans le cas américain, la nature a été sous-évaluée par les colonisateurs qui ont détruit leur précieuse biodiversité, pour mettre en œuvre des monocultures d'espèces exotiques destinées à l'exportation. Les Caraïbes et le nord-est du Brésil verront ainsi s'établir les premières zones colonisées par ce régime de production vouées à l'exploitation forestière et à l'installation de l'économie de plantations.

2. Colonialité et formes subjectives de domination de la connaissance

S'il est clair que, selon les termes de Quijano, la colonialité est l'un des éléments consttitutifs du modèle mondial du pouvoir capitaliste, elle impose également une classification raciale/ethnique du monde comme pierre angulaire de ce pouvoir qui opère dans chacune des dimensions, matérielle et subjective de l'existence quotidienne et de l'échelle sociale.

La subalternité des populations originelles signifiera la perte de leurs connaissances et de leurs façons d'interagir avec la nature, la disparition de leurs espaces de vie. Cela signifiera une réorganisation sélective de la «société de la connaissance» et donc des connaissances des populations originelles à partir de nouvelles relations à la puissance coloniale. Nous parlons ici d'une recomposition cognitive qui entrainerait une perte de la connaissance et une impossibilité à la reconstituer.

Avec l'appropriation des connaissances, l'introduction de modèles technologiques inappropriés, l'induction de rythmes d'extraction et la diffusion de modèles de progrès/consommation, vont non seulement transformer les écosystèmes, mais l'idée même de « tropicalité » exprime la dualité entre le sauvage et le civilisé. L'une des transformations les plus importantes a été d'éliminer les pratiques agricoles traditionnelles fondées sur une diversité de cultures adaptées aux structures écologiques des tropiques pour introduire des pratiques de monoculture visant à répondre aux exigences du marché extérieur. D'autres pratiques ont été captées telles celles qui concernent les savoirs ancestraux botanniques pour développer l'industrie pharmaceutique.

2.1. L'extractivisme, le capitalisme, le néocolonialisme : un débat récent 

S'attaquer à l'extractivisme implique de revenir au caractère colonial de la subordination des territoires, des communautés paysannes, afro-américaines et autochtones et leurs modèles de production, communautés qui ont lutté contre les régimes coloniaux depuis l'époque de la conquête. L'extractivisme au travers des études sur la décolonisation met en lumière la forme que le capital prend dans ses régions périphériques et dans ces espaces coloniaux.

Il fait référence à des régimes politico-économiques constitués d'espaces subordonnés, d'économies subalternes, essentiellement conçus et structurés comme des fournisseurs bruts de "ressources naturelles" et /ou de matières premières visant à approvisionner des économies extérieures, qui sont, elles, considérées comme "centrales" et / ou industrialisées.

Cette vision est également associée à l'idée de « colonialisme interne », avancée par Gonzales Casanova, en tant que processus qui est à l'origine associée aux processus de conquête, en opposition aux luttes des peuples et des minorités, qui ont survécu à l'État colonisant et qui sont « recolonisés dans le contexte du capitalisme néolibéral ». Associé à l'histoire du capitalisme et de l'État-nation d'aujourd'hui, cette vision se réfère à des processus de résistances émergentes systémiques et antisystémiques, qui sont liés à des luttes pour la construction de l'autonomie dans les territoires à l'intérieur et à l'extérieur des États-nations considérés au XXIe siècle comme les frontières des produits de base. L'émergence de luttes sociales pour la vie, la dignité et le territoire, opposé au modèle extractiviste-colonial, implique prendre en compte l'hétérogénéité et la complexité des territorialités. Ces dernières incluent d'autres pratiques de connaissance de l'analyse des conditions matérielles pour la reproduction de leur culture, territoire, et relations de pouvoir.

En ce sens, la dimension historique de l'extractivisme dans les Caraïbes n'est pas une "nouveauté" ou une "exceptionnalité" historique, mais fait plutôt référence à la condition de la possibilité géographique et écologique de fonctionnement du capital en tant qu'économie-monde (Machado Aroz, 2013). L'extractivisme de ce point de vue fait référence à l'histoire, à la forme de capital dans ses régions périphériques et ses espaces coloniaux. Il fait alors référence au colonialisme  et apparait comme la face cachée du capitalisme. Il est l'expression de la situation historico-géographico-écologique possible du processus de mondialisation des capitaux dans les Caraïbes. C'est l'essence même de la domination capitaliste. Il rend compte des mécanismes et dispositifs indissociables épistémiques, juridiques, économiques, politiques et d'opposition selon lesquels se produit et se repdroduit l'appropriation inégale du monde, ceci dans une volonté d'accumulation. L'extractivisme signifie alors une consommation structurelle et systématiquement asymétrique des énergies, tant dans l'exploitation de la ressource naturelle (territoires-ressources écologiques) que dans sa traduction sociale et dans sa production (travail de l'homme). Il exprime, comme Machado le définit à juste titre, "la hiérarchie des territoires et la racialisation des populations comme condition et effet d'une telle appropriation- consommation différentielle du monde".

Le problème de l'extractivisme en Amérique Latine implique alors la construction d'un nouvel agenda politique théorique auquel participe la géographie critique (Porto-Gon-alves, 2014). Bien que mentionnée et peu développée par l'écologie politique, la vision du système colonial du monde moderne, de Wallerstein à Marx et Braudel, aide à retrouver la vision historico-critique de l'histoire, du développement et du capitalisme du XVIe siècle à nos jours. La notion d'un système mondial, en tant que pilier du monde capitaliste, permet d'expliquer les caractéristiques de la reproduction du capital, du placement, de l'espace (Arrighi, 1989, 2007) comme le concept fondamental de territoire. ces principes sont essentiels pour aborder le statut colonial de l'Amérique Latine et sa confrontation au système du monde colonial, mais aussi à l'émergence de nouvelles hégémonies telles que la Chine ». Aujourd'hui centre de pouvoir, la Chine a transformé la géographie du monde et donc les formes traditionnelles de subordination, et les convoitises sur les espaces naturels et les ressources dans le bassincaribéen. Il est essentiel de considérer  ces reconfigurations spatiales du capital et à travers elles, les luttes locales, tout en considérant cette nouvelle territorialité de la géopolitique mondiale.

L'extractivisme dans ses nombreuses dimensions : exploitation des hydrocarbures, exploitation minière à grande échelle, monocultures de masse est aujourd'hui source de conflits majeurs dans toute l'Amérique latine et les Caraïbes. Dans le cadre de la restructuration de la division internationale du travail et de la répartition de la bio-diversité et des ressources naturelles, l'Amérique latine et l'Afrique se positionnent avant tout, encore comme des fournisseurs de produits primaires avec peu ou pas de transformation.

3. La Caraïbe Occidentale, dernière frontière impériale ? Néocolonialisme et néo-extractivisme pétrolier et minier dans le monde afro-caribéen

" Qu'est-ce que la colonisation...? "

"Ce n'est pas l'évangélisation ... Pas une compagnie philanthropique. Ou l'expansion de Dieu ou l'extension de la loi ...

"Le geste décisif est celui de l'aventurier, du pirate, du chercheur d'or, du marchand, de l'appétit et du pouvoir"

Discours sur le colonialisme, Aimée Césaire, (1950) 

L'intérêt est récent pour les études portant sur la Colombie et plus particulièrement pour la région appelée Mosquitia dans les Caraïbes occidentales, une zone géographique où convergent des cultures de diverses origines de peuples dits noirs : les Noirs caraïbes et les peuples autochtones qui habitent les territoires du Honduras britannique, (actuel Belize), les territoires insulaires (actuel Grand Cayman), la côte caraïbe du Guatemala-Honduras- Nicaragua, la côte caribéenne du Costa Rica et le nord du Panama (Bocas del Toro) et les territoires qui s'étendent à travers la mer des Caraïbes, y compris l'archipel de San Andrés et Providencia. Ces espaces sont au coeur d'un conflit géopolitique, environnemental, social et culturel de longue date où les habitants luttent pour la revendication de leurs droits ancestraux face aux États-nations hispanophones, anciennes provinces unies de l'Amérique centrale au XIXe siècle et aujourd'hui États-nations d'Amérique centrale.

Il s'agit d'un conflit complexe entre une population multi-ethnique (population indigène de Lamiskite, Afro-descendant, Créole, Garifuna, Raizal), opposée à un modèle de développement colonial-extractiviste dans une région qui a été et continue d'être le théâtre de conflits non résolus entre les puissances impériales et coloniales depuis le XVIIe siècle.

Expression de la relation existant entre les conflits dans un contexte de colonialité et d'extractivisme caractéristique des économies de notre Amérique latine, deux aspects doivent être explicités :

- Les transformations du marché mondial depuis le XVIe siècle et ce jusqu'à nos jours ont interdit à nos sociétés de penser nos économies autrement que comme des économies exportatrices de productions primaires

- La culture de la nature en Amérique latine est le reflet de la crise à laquelle sont confrontées les sociétés latino-américaines elles-mêmes dans leurs relations avec le monde naturel ; les vieilles contradictions et les conflits non résolus entre les cultures de la conquête, les conquérants du XVIe siècle, et ceux d'aujourd'hui, ceux des expropriateurs et des expropriés des Réformes libérales du XIXe siècle, et ceux qui font aujourd'hui face à ceux qui favorisent la transformation du patrimoine naturel de nos frontières intérieures en capital naturel mondial, et ceux qui résistent à cette transformation. (Castro, 2016)

Nous faisons référence à un territoire avec une histoire qui se construit dans les conflits inter-impérialistes entre espagnols et anglais, entre les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, pour le contrôle de la région. Protectorat anglais, à divers moments (1631-1641, 1740-1786, 1806-1816, 1860) dans des régions comme la Mosquitia, (tirant son nom des peuples d'origine qui y vivaient) même après avoir été «intégrée» ou «réintégrée» aux Républiques indépendantes centraméricaines. La Caraïbe continue d'être un territoire contesté, une colonie économique, culturelle, linguistique, territoriale et militaire contrôlée par les États-Unis et, dans une moindre mesure, par ses partenaires canadiens et anglais.

Le Belize au Guatemala est l'expression même d'un processus d'expropriation territoriale et culturelle par une puissance impériale dans les Caraïbes (Grande-Bretagne) sur un pays indépendant, résultat d'un processus d'organisation des terres convenu entre deux puissances étrangères. Le canal de Panama est un autre symbole de l'expression d'un processus d'occupation extraterritoriale des États-Unis, qui transforme les sens et les processus sociaux, culturels et environnementaux des peuples marginaux et des États-nations eux-mêmes (Colombie, puis Panama). Les relations entre les Caraïbes et le monde et son contrôle s'expriment dans les langues parlées. Les populations ethniques parlent la langue des nations anglo-saxonnes qui ont dominé la région, mais elles parlent aussi des langues autochtones : Mayas ou Yucatec au Yucatan, Noirs Caraïbes au Belize, Miskito, au Honduras et au Nicaragua, Guaymi et Cuna au Panama, Créole à San Andres et aux îles Caïmans, ainsi que l'espagnol. Toutes ces langues reflètent l'histoire de la domination coloniale-étatique, mais en même temps en alternant avec le contrôle colonial et impérial de la langue, cela crée une diversité de langues créoles caribéennes. (Torres, Saillant) Le créole devient la langue de résistance dans les Caraïbes contre le colonisateur, l'Espagnol, l'Anglais, le Français.

Dans le contexte de la géopolitique extractiviste, les Caraïbes occidentales deviennent le centre mondial et le centre du conflit inter-impérial. Le projet de Canal du Nicaragua, élaboré en période de domination anglaise, est aujourd'hui concédé à l'une des plus importantes puissances extractives au monde : la Chine. Avec la présence de la Russie au Nicaragua, un nouveau rapport de forces apparaît qui défie l'hégémonie anglo-saxonne sur cette dernière frontière du capitalisme et génère un conflit socio-environnemental qui accentue la marginalisation des peuples autochtones et créoles pourtant soumis à une nouvelle colonisation extractive dans la région.

Alors que les luttes révolutionnaires centraméricaines dans leur contenu anti-impérialiste des années 1970 et 1980, comme dans le cas du Nicaragua, proposeront la reconnaissance de l'autonomie et des droits d'autodétermination de ces peuples dans des régions « non intégrées », le néolibéralisme et le néo-extractivisme génèreront de nouveaux défis pour ces populations obligées de lutter contre le développement colonial extractiviste dans la région.

Le séisme qui se produit dans le bassin Caraïbes suite à la crise des prix du pétrole en 2014 commence à être perçu, et la région apparaît comme la dernière frontière pour l'exploration de gisements non conventionnels mobilisant des technologies telles que le forage de la couche de pré-sel, dans des profondeurs de la colonne d'eau atteignant plus de 5 000 km et 3 000 km pour les couches de sels. Ces techniques sont désormais interdites en Nouvelle-Zélande, en France, en Allemagne et au Royaume-Uni en raison de l'inévitable réchauffement climatique. Face à la crise provoquée par l'insatiable voracité du secteur extractif, le fond marin devient la dernière frontière à explorer.

Dans les territoires vulnérables à la sismicité, aux ouragans et aux multiples problèmes socio-environnementaux associés à un modèle prédateur pour la nature et les cultures, on observe les indices les plus élevés de violence socio-environnementale au Honduras, en Colombie et à la frontière brésilienne.

 

Bibliographie et citations

 

Fannon F., 1968, Les damnés de la terre, Editions La Découverte (2002), Paris.

Bégot M., Buléon P., Roth P., 2013, Caribe emergente: una geografía politica, Ediciones

L´Harmattan, Paris.

Butler, J., 1985, Autonomia para la Costa. "Ni magia ni tabú", B. I. University, Ed.
 
Gonzales Casanova, P., 2006, El colonialismo interno, en P. Gonzales Casanova, Sociología
 
de la explotación, CLACSO, Buenos Aires, pp 185-205.


Auteur : Catalina Toro-Pérez
Traduction :  : Frédérique Turbout

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